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Quand l’Amérique relocalise

Les États-Unis, avec le friend-shoring, partage le monde entre amis et ennemis. Et surtout à son avantage, avec un protectionnisme qui ne se cache plus et au mépris des règles de l’OMC. Les politiques économiques françaises menées sous Macron sont impuissantes à empêcher le déclin de la France.

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Quand l’Amérique relocalise

Credit:WITT/SIPA/1505281432

L’État américain de Trump à Biden a jugé qu’il était temps de rapatrier les chaînes de valeur stratégiques, avec une totale continuité du premier au second, et l’Europe désindustrialisée, dans cette affaire, fait figure de victime collatérale. Mais l’Amérique n’a pas perdu sa morale puritaine et surtout sa fâcheuse propension à mettre la morale là où elle n’a pas sa place ; or voici que resurgit la rhétorique des bons et les méchants, les bons qui suivent l’Oncle Sam et les autres.

À cette fin de protectionnisme assumé, l’Amérique a mis en place un arsenal conséquent : le Chips Act (loi sur les semi-conducteurs) et l’Inflation Reduction Act (IRA), en août 2022, subventionnent massivement l’industrie des microprocesseurs et des énergies renouvelables et, plus encore, Washington promeut un nouvel ordre commercial mondial avec le « friend-shoring » (localisation amicale). Droits de douane et subventions aux entreprises sont redevenues les deux mamelles de l’America first. L’Oncle Sam s’y adonne à la louche, qu’on en juge, avec 280 milliards de dollars pour le Chips Act et 370 milliards de dollars pour l’IRA. En avril 2022, la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a exposé à grands traits la nouvelle stratégie commerciale américaine de la « relocalisation chez les pays amis ». Voilà, nous dira-t-on, une mesure économique assez logique – sauf qu’elle est loin d’être seulement économique : de même que la guerre en Ukraine (souhaitée par Washington) redonne de la vigueur à l’Otan, de même la « relocalisation chez les pays amis » reconstitue un bloc de pays alignés derrière les États-Unis.

Qui sont les amis de l’Amérique ?

Tout cela a la couleur des années 60 qui virent, en réaction aux pays alignés, se créer à Belgrade, en 1961, le club des pays non-alignés. La question se pose en effet de savoir qui sont les amis de l’Amérique ? Là encore, la guerre en Ukraine, si elle renforce l’Otan, montre que le nombre de pays qui ne soutiennent pas les États-Unis dans cette guerre ressemble furieusement aux non-alignés de jadis. De l’Afrique à l’Asie en passant par l’Amérique latine, le camp des pays qui ne veulent pas choisir les Occidentaux contre la Russie s’élargit. Et, pour l’Europe, on pense à M. de La Fontaine, L’ours et l’amateur des jardins : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami, mieux vaudrait un sage ennemi. »

Quoi qu’il en soit, ces dispositions participent, elles aussi d’une démondialisation à bas bruit : adieu Alena, OMC, win-win division internationale du travail… Gageons de surcroît que Macron sera le dernier à s’en apercevoir, comme dans l’affaire Alstom où, pressé d’étudier une aide publique à la firme pour empêcher General Electric de s’en emparer, celui-ci eut cette réponse :  «  Nous ne sommes pas le Venezuela ! », sauf que GE avait déjà reçu des millions de dollars de l’état fédéral ; l’idéologie libérale rend-elle aveugle ?

L’Amérique a toujours été protectionniste.

À dire vrai, dans cette affaire, l’Amérique renoue avec son passé après les épisodes libre-échangistes de l’après-guerre, les fameux rounds de négociation douanière issus de l’accord du GATT (général Agreement on Tarif and Trade de 1947 à 1994), qui fut remplacé par l’OMC à la chute de l’URSS. C’était alors la grande débauche (libre-)échangiste. Historiquement, après la Guerre de Sécession, les yankees républicains et industriels, suite à leur victoire contre le sud libre-échangiste, démocrate et agricole (main d’œuvre bon marché, et pour cause, produits d’exportation comme coton et le tabac, etc.), imposent un protectionnisme radical, pour résister à la concurrence industrielle britannique, un protectionnisme éducateur, dira-t-on plus tard. Les droits atteindront plus de 60 % ad valorem et financeront l’état fédéral dans une très forte proportion (l’impôt sur le revenu n’existant pas). Abraham Lincoln assimilait d’ailleurs le libre-échange à l’esclavagisme1.

Mais où est passée L’OMC ?

Quand Madame Yellen prononce un discours d’annonce du friend shoring devant le think tank Atlantic Council, elle ne dit pas un mot sur l’Organisation mondiale du commerce. Entrée en 2001 dans l’OMC, la Chine a capté l’essentiel des chaînes de valeur mondiales en vingt ans, le bonheur libre-échangisme a tourné au monopole. À l’époque, d’aucuns s’étaient inquiétés de l’entrée de la Chine à l’OMC, considérant cette intrusion comme une faute majeure : ils furent alors relégués dans les ténèbres extérieures de l’anti-mondialisation, absolue ringardise.

Ni « relocalisation » industrielle sur le sol américain (« on-shoring »), ni « relocalisation de proximité » au Mexique ou au Canada (« near-shoring »), le friend-shoring se veut ouvert et inclusif, selon la secrétaire d’État : Europe, Corée du Sud, Japon, Taïwan, Indonésie, Inde, Brésil… Il s’articule toutefois autour des États-Unis, qui devraient, selon elle, « construire un réseau d’accords commerciaux plurilatéraux ». Mais les pays en développement non-alignés seront exclus de l’orbite du friend-shoring. Nous y sommes ! Il flotte comme un parfum de guerre froide. Le Conseil du commerce et de la technologie UE-États-Unis (TTC), créé en 2021, est emblématique de cette nouvelle doctrine.

L’industrie européenne risque-t-elle de délocaliser aux États-Unis ?

Les États-Unis sont devenus plus attractifs et inquiètent l’Union européenne ; le friend-shoring ne semble pas la rassurer dans le style « Je relocalise chez moi, tu délocalises chez moi ». Manifestement, pour les Américains, les traités économiques transnationaux ne valent rien s’ils ne contribuent pas à renforcer la puissance états-unienne, d’autant qu’ils ont l’habitude de mettre en place des réglementations qu’ils ne suivent pas (Bâle II) ou qu’ils ne ratifient pas (protocole de Kyoto en 1995, accords de Paris sur le climat en 2015, par exemple).

Les facteurs d’attractivité américains sont, en tout premier lieu, le pétrole et le gaz. En raison de la flambée des prix, de plus en plus d’entreprises d’Europe choisissent de s’implanter sur le territoire américain. Particulièrement les sociétés chimiques et sidérurgiques et autres productions énergivores. C’est dans ce contexte que s’éclaire l’attentat contre North Stream II, dans la logique « is fecit cui prodest ». Il fallait à tout prix empêcher l’Europe de profiter du gaz russe pour vendre le sien ; avec de tels amis… Selon certains économistes, une ère nouvelle de désindustrialisation s’annonce pour l’Europe et l’Amérique s’apprête à annoncer de nouvelles mesures en faveur de l’industrie manufacturière. « Choisir les États-Unis dans ce contexte relève de l’évidence », affirme Ahmed El-Hoshy, PDG d’OCI, entreprise de chimie établie à Amsterdam qui a annoncé en septembre l’extension d’une usine d’ammoniac au Texas. On ne saurait être plus clair.

Souveraineté industrielle : l’Europe peut-elle se réveiller ?

C’est surtout face à l’Inflation Reduction Act (IRA) que l’Europe a voulu réagir, mais le premier effet a été d’afficher ses divisions. La visite du ministre français de l’Économie aux États-Unis, avec son homologue allemand, le 7 février, vise à afficher une Europe prête à répliquer à l’IRA américain. En réalité, les 27 et la Commission sont encore divisés sur les mesures à prendre. Bruno Le Maire ne croit guère en la possibilité de faire plier les États-Unis pour qu’ils amendent en profondeur leur programme de soutien à l’économie. Depuis la visite du président français en décembre 2022, Macron aura eu beau caresser, dans tous les sens du terme, Joe Biden, celui-ci n’a pas faibli dans sa détermination à injecter quelque 500 milliards de dollars de subventions et d’allègements fiscaux pour les entreprises américaines, afin qu’elles engagent un virage vert.

« L’Europe ne peut pas être le seul endroit où il n’y a pas de Buy European Act », estimait Macron en novembre 2022. Pour l’appeler par son nom il s’agit d’une « préférence européenne », formulation qui écorchait hier encore la bouche de ceux qui, timidement, la prononcent aujourd’hui, en contradiction évidente avec les règles de l’OMC. Il en est déjà ainsi de l’Instrument relatif aux marchés publics internationaux (IPI), qui vise à restreindre l’accès aux marchés publics européens des entreprises étrangères. Fâcheux signal selon Sébastien Jean, professeur d’économie industrielle au CNAM, pour qui « la Commission n’en viendra pas là, car c’est en infraction manifeste avec ses engagements auprès de l’OMC ». Sacralité de l’OMC, manifestement non partagée avec nos « amis » américains !

Dans ces conditions, pourquoi pas une préférence nationale ? Elle aurait le mérite d’échapper aux lenteurs bureaucratiques européennes, car de même qu’il n’y a pas de souveraineté européenne, il ne saurait y avoir de préférence européenne. Comme le souligne la Cour des comptes dans un récent rapport, c’est la désindustrialisation qui a entraîné le déclin de notre solde commercial, déclin supérieur à celui des autres grandes nations industrielles d’Europe de l’Ouest (hormis le Royaume-Uni). Entre 2000 et 2020, le solde de la balance commerciale française s’est littéralement effondré, en baisse de 83,9 Mds€, alors que ceux de l’Italie et de l’Allemagne sont en hausse de respectivement 55,5 et 50,9 Mds€. Avec un tel différentiel, on imagine mal une action commune…

Mais, hélas, dans l’hypothèse d’une action spécifiquement française, en 2018, la France, sur le modèle de la National Export Initiative américaine, s’est doté d’une stratégie nationale d’exportation, dite stratégie de Roubaix. Celle-ci s’est avérée un échec cuisant, cumulant une série d’erreurs liées à une volonté d’affichage politique et démontrant surtout que le mal est plus profond, un mal politique, l’impuissance qui affecte l’ensemble de la société politique française.

 

1. En 1860, juste avant la guerre civile, la valeur des esclaves est de 50 % supérieure à tout l’investissement manufacturier et ferroviaire américain, explique Douglas Irwin, dans une histoire monumentale du commerce américain (Clashing over Commerce, a History of US Trade Policy, the University of Chicago Press, 2017, non traduit).

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