Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Il y en a qui sont lourds, je vous jure. Ils pèsent, ils s’incrustent, ils s’accrochent. Ils ont la fidélité maladive et obsolète. Ils ont des conceptions d’un autre siècle.
Les concepts d’innovation, de mobilité, de flexibilité, de professionnalisme les effraient, que dis-je ? ça leur passe par-dessus la tête. La routine, voilà leur espérance, voilà leur gloire. Un an, deux, dix ans, toute une vie dans la même boîte, ça va jusqu’à leur paraître le bout de leurs souhaits. Ce qu’ils visent, c’est la médaille du Travail. Trente ans dans la même entreprise couronnés d’un beau diplôme et d’un vin d’honneur au crémant d’Hazebrouck, c’est leur vœu le plus cher. Être le toutou fidèle et collant du chef, du patron, l’esclave servile qui reçoit une caresse sur sa bonne grosse tête d’où les poils sont à moitié partis, voilà où ils mettent leur bonheur.
Mon oncle Victor me raconte que dans sa jeunesse (c’était dans les années 50, mon oncle n’est pas jeune), son facteur, le facteur de son quartier, faisait la même tournée depuis des temps immémoriaux. Il connaissait toutes les boîtes aux lettres, même les plus vicieuses, même les plus cachées, moyennant quoi il avait vidé toute sa sacoche en deux heures, même pas, grâce à quoi il pouvait faire une deuxième tournée l’après-midi, grâce à quoi, malgré son petit péché mignon, il ne se trompait jamais. Comme, en fin de compte, il avait le temps, il ne disait pas non quand on lui proposait un petit verre ; il l’enfilait vite chez la mère Michel pour en prendre un second chez la mère Tapdur. Au bout de sa tournée, il zigzaguait. Il voulait sauter sur son vélo et atterrissait à côté. Quand il voulait poser son vélo contre un mur, l’engin, qui était manifestement trop imbibé, ne tenait plus debout et s’étalait, les pédales en l’air. Maintenant, les facteurs sont en CDD, ils changent de secteur tous les deux mois quand ils ne sont pas virés. Leur tournée est interminable, ils se trompent de boîtes aux lettres, certaines échappent à leurs regards rapides. Les lettres qu’ils n’ont pas réussi à placer, ils les fourguent dans le prochain égout. Et c’est comme ça dans toutes les professions. Mobilité, flexibilité, professionnalisme.
Illustration : Marseille, 18 décembre 2021. Les éboueurs font grève car ils ne veulent pas être obligés de travailler 35 heures.