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La révolte des territoires

Alors que Paris tente de contrôler toujours plus étroitement tous les corps intermédiaires “géographiques”, les élus résistent à leur mise sous tutelle financière et politique. Ils se voient comme le dernier rempart réaliste face à un État gestionnaire désincarné.

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La révolte des territoires

Le 27 novembre, douze présidents de région avaient interpellé Emmanuel Macron en lui demandant de surseoir à ses projets de taxes avant qu’il n’y renonce – moins attentif à la parole des élus qu’au saccage des magasins parisiens. Dans leur tribune, ils affirmaient ce que tout le monde savait – et qu’eux-mêmes avaient pu nier – à savoir que la métropolisation de la France a « fracturé » la société. Leur quasi-unanimité était en soi un message, car le reste de la tribune se perdait dans un flot de réclamations technocratiques où apparaissait nettement la volonté d’établir des baronnies provinciales reproduisant à leur échelle le centralisme étatique.

Mais si la colère monte dans les territoires, et depuis longtemps, c’est précisément à cause de ce centralisme qui ignore les réalités géographiques et historiques et, sous prétexte d’efficacité administrative – c’est-à-dire de “rigueur” budgétaire –, ne jure plus que par la concentration des services publics, des emplois et des nœuds de communication. Pour ne donner qu’un exemple, le kilométrage de voies ferrées a retrouvé, en France, son niveau de 1890… et l’intégralité des liaisons locales ont disparu. La SNCF se félicite de l’augmentation du trafic, bien sûr, sans vouloir voir qu’il a fondamentalement changé de nature : on traverse un « reste de territoire » entre deux métropoles.

Les territoires contre les métropoles

Qu’il s’agisse de radars mal implantés ou de limitations de vitesse mal pensées, de service public dégradé ou de taxe d’habitation bouleversée, les territoires – autrement dit les provinces moins les dix ou douze métropoles qui sortent renforcées de la dernière réforme – supportent de moins en moins le jacobinisme parisien. Les préfets avaient sonné l’alerte et annoncé le “ras-le-bol” de cette partie du pays qui abrite environ vingt millions de Français pas encore métropolisés. Les députés LaREM n’ont pas écouté les préfets, pas plus qu’Emmanuel Macron n’a écouté les maires ou les départements. Paris n’a que faire qu’on lui explique en quoi Martigues n’est pas Lons-le-Saulnier, en quoi le Vexin diffère de l’Orne et même en quoi Lyon et Bordeaux ont peu à voir malgré Juppé et Collomb. L’État n’imagine plus qu’un gouvernement financier de la France : selon la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, il veut encadrer les collectivités (communes, intercommunalités, départements, régions) pour les aider à gérer leur dette et contenir leurs frais de fonctionnement.

Explosion des dépenses sociales

L’idée n’est pas en soi stupide : Ségolène Royal, entre autres présidents de régions, a presque réussi à ruiner la région Poitou-Charentes, et l’emploi public, si l’on ajoute les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, ne cesse de croitre, grevant les finances. Après avoir diminué unilatéralement et pendant des années les dotations aux collectivités (moins 11,5 milliards d’euros entre 2014 et 2017), Bercy a donc décidé de changer de méthode. D’une part, tout en continuant à les accabler de compétences nouvelles et ruineuses, l’État maintient dans les collectivités les dépenses sociales, qui explosent, comme la gestion des mineurs étrangers isolés (MEI) ou le RSA. Le département du Val d’Oise, par exemple, a vu ses dépenses relatives aux MEI passer de 4 à 17 millions d’euros en quatre ans, entre 2014 et 2017, et la courbe ne s’inverse pas. Quant au RSA, l’État ne cesse de le revaloriser, mais unilatéralement, au point que les collectivités auraient voulu “recentraliser” ces dépenses. D’autre part, l’État oblige les collectivités à signer des contrats financiers. Un article de la Gazette des Communes, le 17 avril 2018, permet de se faire une juste idée de la pertinence de cette contractualisation. Tout le monde a salué une « nouvelle méthode qui consiste à ce qu’il y ait avant tout de la confiance », Édouard Philippe précisant dans la foulée que « certains ont pu voir le signe que nous imposerions aux collectivités territoriales de diminuer leurs dépenses. Il y aura une augmentation de la dépense publique locale, mais nous voulons qu’elle soit maîtrisée. » pendant qu’Alain Juppé avertissait que « ce ne sera pas facile de tenir ce cap » puisque « les grandes agglomérations en croissance doivent faire face à des charges nouvelles ». Et pendant que la Seine-Maritime signait avec l’enthousiasme des pionniers¹, la Seine-Saint-Denis déposait un recours contre l’arrêté préfectoral limitant ses dépenses de fonctionnement. Les collectivités ont l’impression, assez juste, d’être mise sous tutelle, Edouard Philippe n’hésitant pas à faire comprendre aux récalcitrants que le robinet se fermerait si le contrat n’était pas signé.

Un redressement des finances « partiel et fragile »

Depuis, la Cour des Comptes a expliqué, en septembre, que ces contrats ne tenaient en fait pas compte des spécificités locales, puisque un tiers des collectivités n’ont aucun moyen de moduler le taux d’évolution des dépenses de 1,2%, qui leur est imposé. Et Didier Migaud considère que le redressement de leurs finances n’était que « partiel et fragile » puisque on est assuré que les dépenses repartent à la hausse dès la fin 2018. En fait, tant que les niveaux intermédiaires existent, aucun contrôle réel ne sera possible. Mais la tendance de l’État à rassembler les services et les prises de décision dans des superstructures de plus en plus vastes est sans cesse contrarié par les élus locaux qui n’ont aucune envie de disparaître, par pur intérêt personnel, parfois, mais aussi parce qu’ils savent que la proximité avec les habitants est indispensable pour ajuster et nuancer l’action de l’État : c’est eux qui savent comment ramasser les poubelles et fixer les horaires des piscines.

Echec de la “monstropole”

Jacqueline Gourault, dont nous soulignions, dans Politique Magazine 174, qu’elle avait été nommée pour gérer la colère territoriale, ne s’y est pas trompée : alors que la Métropole du Grand Paris (MGP) rêvait d’absorber les trois départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, ils sont maintenus – désavouant les projets d’Emmanuel Macron un an plus tôt. Les élus, constitués en Alliance des territoires, avaient su expliquer au grand public qu’il était hors de question que la « métropole des riches », « la monstropole », décident de leur sort. Et ils avaient menacé les autorités d’une grève des ordures ! si la MGP ne leur reversait pas les 55 millions d’euros qu’elle avait prévus de confisquer – tout en laissant aux territoires les compétences afférentes. Voilà les territoires parisiens désormais unis autour d’un objectif bien commun : faire disparaître la superstructure technocratique qui plaisait tant aux énarques. Et il semblerait bien que leur combat représente désormais un mot d’ordre pour tous les élus : eux aussi veulent reprendre le pouvoir et ne plus être assignés au rôle d’exécutants tacites et dociles des volontés parisiennes.

Par Philippe Mesnard

1. Au 20 novembre 2018, « 229 des 322 collectivités ayant un budget supérieur à 60 M€ ont signé en 2018 un contrat financier de trois ans. Celui-ci limite la hausse des dépenses réelles de fonctionnement autour d’un taux pivot de 1,2 %, variant selon trois critères locaux : les efforts de gestion déjà effectués, l’évolution démographique et le revenu moyen par habitant. A négocier avec le préfet. » (Gazette des Communes). Mais dans les faits une part importante des dépenses échappe au périmètre de la contractualisation…

 

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