France
Cesser de se mentir
Sous le titre évocateur de Bal des illusions, l’essai de Richard Werly et de François d’Alançon tombe à pic.
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Europe. L’Europe n’est pas seulement en difficulté politique sur les sujets mêmes qui concernent son existence, mais elle risque d’un moment à l’autre l’explosion financière.
L’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître, écrivait le poète Horace. Trente années de promesses européennes sont en passe de se fracasser sur la crise migratoire, maintenant doublée d’un risque de réplique de crise financière. Le président de la République s’accroche obstinément aux solutions budgétaires européennes ; il est aveugle sur le retour foudroyant de l’histoire, provoqué par le chaos migratoire qui accélère la révolte populaire.
La cigale est allée voir la fourmi : « Nous entrons dans la deuxième étape de la vie de notre monnaie unique », a-t-il affirmé avec un zeste de méthode Coué. Le conseil des ministres franco-allemands, qui s’est tenu à Meseberg, le 19 juin, entendait promouvoir un « budget de la zone euro », expression tout à fait abusive et fallacieuse. Car son montant et sa mise en œuvre n’ont pas été précisés pour ne pas se fâcher avec les 17 autres membres de la zone euro, un budget a minima, donc, et très en dessous des perspectives dessinées par la commission de Bruxelles. Déjà le ministre néerlandais des Finances, Wopke Hoekstra, s’est ouvertement opposé à cette idée. Nous sommes ici très loin du discours européiste flamboyant de la Sorbonne et le président semble aujourd’hui se résoudre à la politique des petits pas, pour reprendre l’expression d’Angela Merkel. Les deux pays proposent de transformer le Mécanisme européen de stabilité (MES), entré en vigueur le 27 septembre 2012 et qui a été institué pour maintenir la stabilité financière de la zone euro. Mais Il faudra changer les traités, tâche ardue en cette période de doute. Le MES élargi viserait à faire en sorte qu’aucune banque ne mette en difficulté toute la place financière européenne. En revanche, l’Allemagne a écarté la garantie européenne des dépôts à hauteur de 100 000 euros. Elle doute sérieusement de la solidité du système bancaire italien avec l’arrivée des « populistes » au pouvoir, le but ultime de ce budget européen étant de favoriser la convergence de la zone euro, laquelle n’a cessé de diverger ; et alors que c’est congénitalement que l’euro produisait de la divergence : perseverare diabolicum !
La Fed a décidé de remonter ses taux et abandonne mollement le QE (quantitative easing) ; la hausse du dollar – rendu plus rare – recommence à causer des difficultés aux pays émergents ou hors zone dollar qui sont endettés en dollars. L’économie réelle mondiale soutient une dette qui pèse trois fois le PIB mondial, fin 2017 : 240 000 milliards. Cette dette n’a aucune contrepartie, si ce n’est la promesse de l’honorer, car les banques elles-mêmes prêtent de la monnaie qui n’existe pas. En cas de défaut des banques – italiennes par exemple –, les conditions qui ont créé la crise de 2008 sont reconduites aujourd’hui à la puissance 10 et les conséquences sont à l‘avenant.
Voici quelques motifs de ne pas se rassurer trop facilement : les banques italiennes malades, la Deutsche Bank et sa cascade de produits dérivés d’un montant très supérieur au PIB allemand, la Turquie et l’Argentine endettées en dollars, le shadow banking chinois, les crédits étudiants irrécouvrables, façon subprime, aux USA, bulles immobilières australiennes et canadiennes, guerre douanière. Une nouvelle crise n’est donc pas exclue, survenant, une fois encore, des banques, mais sur un fond de doute monétaire. Les Chinois payent déjà une partie de leur pétrole en yuan et la Russie stocke des yuans comme monnaie de réserve. Lors du forum économique de Saint-Pétersbourg, les Russes ont proposé à l’Eurozone de remplacer le dollar par l’euro pour lui acheter du gaz. Ce fut un échec. L’Europe reste encore dépendante du dollar, par quoi l’on mesure que l’euro ne représente pas une zone monétaire optimale et subit donc le privilège d’extraterritorialité de la suzeraineté américaine par l’application des lois américaines en dehors du territoire des États-Unis.
Le LIBOR, le taux de référence interbancaire pratiqué à Londres pour plus de 350 000 milliards de dollars de produits financiers et d’emprunts, vient d’atteindre son niveau le plus élevé depuis huit ans, à 2,2 %. La BCE commence aussi à remonter ses taux, la politique monétaire d’assouplissement quantitatif (QE) ne servira plus de bouclier protecteur à l’Italie, dont la dette publique représente 132 % du PIB. Les achats obligataires de la BCE – entendez les rachats à l’État italien de ses obligations pour se financer, forme contemporaine de la planche à billet –, devraient cesser fin septembre 2018. Dans le cas de l’Italie, l’exposition des ses banques aux obligations de l’État représentent 20 % de leurs actifs, des ratios les plus exposés du monde selon l’économiste Marc Rousset. Le bilan de la BCE atteint, quant à lui, le chiffre de 44 % du PIB de la zone euro. La question est désormais : qui va vouloir encore acheter des obligations italiennes ?
On se souvient du sauvetage de la Monte Paschi di Siena, mais Banca Carige et Credito Valtellinese sont aussi dans une situation désespérée. Nous sommes proches d’une symptomatique grecque, seulement, cette fois-ci, dans la troisième économie de la zone euro.
Le niveau de vie italien a diminué de 9 % pendant la dernière décennie. Les impôts augmentent, la dette aussi. Si elle était restée en lires, la cigale aurait dévalué ; ce n’est pas glorieux mais c’est efficace et surtout organique, reflet de l’économie réelle.
Emmanuel Macron et Angela Merkel viennent de se mettre aussi d’accord, à Meseberg, pour limiter les « prêts non performants » – « NPL » en anglais – des banques de l’Union européenne. Les banques italiennes détiennent à elles seules 28 % des « NPL » en Europe. Quant aux banques françaises, elles détiennent 44 milliards d’obligations italiennes. Au regard de ces créances non recouvrables, la crise des subprimes apparaît comme modeste et, cette fois, l’épicentre est en Europe.
« Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter » : cette ahurissante déclaration de Günther Oettinger, commissaire – allemand – européen a résonné comme une menace et un aveu ; mais si les Italiens ont « mal voté », à qui la faute si ce n’est à des hommes de son acabit ? Les peuples européens de l’Ouest pourraient enfin sortir de leur torpeur, comme l’ont fait les peuples de l’Est, et maintenant les Italiens. On se plaît à souligner les contradictions économiques du programme des populistes italiens : plus de dépenses et plus de dettes, certes ; mais la question est désormais politique et met en cause Bruxelles. Où est M. Junker ? Que fait la commission ? À quoi sert le parlement ? Une fantomatique Union européenne, espace riche mais affaibli et vassalisé, réduit à un grand marché ouvert, incapable de se préparer aux défis contemporains, au premier rang desquels l’invasion migratoire.
En réalité, ces défis et le vote populiste vont apprendre à l’oligarchie qui dirige un nain politique, que même sur le plan économique, domaine où elle prétendait exceller, elle peut perdre et perdre gros. Parmi les oligarques, Emmanuel Macron a-t-il compris que nous sommes à la fin d’un cycle commencé avec la chute de l’URSS et que l’hyper-classe mondiale qui l’a porté au pouvoir ne visait qu’à écarter l’Europe et la France de la route de la puissance et de l’indépendance. C’est la crédibilité même de l’Europe qui est maintenant en cause si à la crise migratoire vient s’ajouter la crise financière : alors, l’UE n’est pas la solution, mais bien le problème.