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Cher, cher, déni 

Les Français des années 30 pratiquaient très bien le déni. Ils ne voulaient pas voir que le caporal Adolf était dangereux. Ils se refusaient à lire Mon Combat.

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Cher, cher, déni 

Comme ils ne connaissaient pas bien l’allemand, ils prononçaient « Mène Camphre ». Ils se disaient : « Oui, oui, il éructe, il fait le méchant. Mais au fond, c’est un bon garçon, il va s’assagir. Quand il se sera fait raser sa furieuse moustache, il sera parfaitement convenable. » Moyennant quoi, yeux fermés, oreilles bouchées, nez pincé, ils ne voyaient rien, n’entendaient, ne sentaient rien, ne prévoyaient rien, ils étaient heureux. Ils chantaient : « Dans la vie faut pas s’en faire, moi je ne m’en fais pas. »

Les Français de 2022 pratiquent-ils aussi bien le déni ? Ça dépend. Ceux qui n’ont pas réussi ne réussissent évidemment pas dans cet art-là. Il faut dire qu’ils habitent souvent dans des endroits sombres, où la lumière n’aveugle pas, où il est très difficile de ne pas voir. Mais ceux qui ont réussi, ceux qui savent ? Ah, eux, champions ! Ils ne voient rien. Quand ils entrevoient tout de même quelque chose, vite, ils se serrent les paupières ; ils disent qu’ils n’ont rien vu et que ceux qui prétendent avoir vu quelque chose sont des sans-dents. Ils refusent catégoriquement de lire certain livre inspiré ; ils s’indignent comme des autruches à qui on envisage de botter le croupion qu’on ait seulement oser le leur proposer. Puis, se reprenant, ils font des petits gestes sur le côté qui veulent dire : « Balivernes ! Propos d’incompétents, qui n’ont même pas su traverser la rue ! » et ils ajoutent : « Allez, allez, passez, il n’y a rien à voir. » Certains de celles et ceux qui n’ont pas réussi, fasciné(e)s par tant de bagou et de mots merveilleux débités à bonne vitesse, baissent la tête : oh, ce qu’ils ont honte d’avoir cru voir. On ne les reprendra plus.

 

1. Voir Au bon beurre de Jean Dutourd.

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