Civilisation

Portrait du genre policier
Les Humanoïdes Associés poursuivent leur entreprise de vulgarisation de la littérature de genre, avec ce lourd volume consacré à l’histoire du polar en bande dessinée.
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C’était dans les années 2000. Un jeune auteur publiait de petits romans qui hésitaient entre la description du monde d’avant, celui des départementales de l’Ouest, et celle du monde d’après, ravagé par les diktats et les troupes d’une Union européenne livrée à son hubris.
En suivant ses parutions, il arriva que l’on se lassât du portrait de professeur de lettres perdu dans le nord de la France et trouvant son réconfort dans les yeux de gazelle d’une lycéenne venu du sud, comme de certaines prises de position se voulant communistes. Et puis le temps passe, et nous retrouvons des points communs avec Jérôme Leroy quand il fait jouer avec talent la petite musique de la nostalgie, comme dans son dernier livre, Un effondrement parfait, une suite de très courts textes auxquels l’éditeur a eu la bonne idée de donner l’écrin d’une jolie couverture.
De droite ou de gauche, la génération qui a eu vingt ans sous François Mitterrand se retrouvera dans ces courts aperçus en ressentant une même blessure. Toutes les générations, au-delà des luttes politiques, des rivalités amoureuses, et même des divergences sur la peinture ou la poésie, se sont sans doute réconciliées dans la nostalgie de leur jeunesse. Mais notre nostalgie ne se limite pas à nous remémorer ce que nous avons partagé – les voyages en voiture avec des parents qui fumaient, les maisons de vacances des amis, les discussions de ces adultes tout droit sortis d’un film de Sautet –, car s’y ajoute une commune souffrance devant l’impossibilité de retrouver cela. Certes, nul ne peut retourner à son passé, pas plus autrefois qu’aujourd’hui, mais au moins, devenu vieux, pouvait-on alors en trouver des traces en flânant dans son présent. Les tenues, les techniques, quelques constructions avaient sans doute changé, mais le monde – la campagne ou la foule – était à peu près le même. Notre génération, elle, a été non seulement chassée de chez elle dans son présent mais en outre privée de son passé. Transplantés de force dans un monde où nous ne reconnaissons plus ni les hommes, ni les mots, ni les paysages, sinon au hasard de quelques rares rencontres ou de perspectives à peine entrevues, il nous arrive de nous demander si nous n’avons pas rêvé le monde d’avant.
Jérôme Leroy a su en garder la trace dans le souvenir d’un oncle, le rappel d’un mot désuet, l’évocation d’un moment hors du temps avec une amie de passage, le bruit des vagues ou la forme d’un nuage, auxquels il mêle des images de film, des bribes de chansons, des souvenirs de paysages étrangers ou de nuits d’hôtel dans cette France maintenant « périphérique ». On s’arrête sur une belle formule et on le lit par petites touches, comme on dégusterait un alcool fort, pour faire durer ce curieux plaisir né de la douleur et laisser ses fantômes nous rappeler les nôtres. Un livre pour la bibliothèque d’une maison de famille.