Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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On ne reconnaissait plus les prés ; dans l’herbe jaune et cassée les vaches erraient en meuglant de soif. Dès les petites heures du matin, il fallait mettre les volets en position entrebâillée pour préserver un peu de fraîcheur et on restait dans la pénombre.
Au dehors, le soleil implacable crépitait sur les routes et les chemins, et nous rendait parfois presqu’aveugles. On allait bien sûr joyeusement se baigner, mais l’eau était d’une tiédeur qui nous rappelait le lavabo du matin, et sitôt sortis, sitôt enveloppés d’un lourd manteau de chaleur. Parfois, la ronde grondeuse du tonnerre faisait peur aux petits, et un coup de vent faisait claquer les portes. On se disait : « il va pleuvoir, sûrement ! » Mais l’orage se taisait dans la nuit, et le matin se levait sans rosée, sur une journée aussi chaude que la veille.
Le soir nous rassemblait tard, dans les rayons du couchant qui dorait si bien les lisières proches, nous buvions frais, tout en plaignant bêtes et gens au travail. Mais nous qui n’avions pas quitté les encaissements de la ville, nous avons mangé la poussière qui faisait craquer un peu la pizza, et les glaçons fondaient bien vite dans le seau où fraîchissait à grand peine la bouteille de rosé. Les rues étaient avares de leur ombre, et les sirènes des pompiers ou de la police déchiraient l’air, pourtant déjà en lambeaux
Sécheresse des travaux et des jours, et aussi sécheresse impitoyable des nouvelles que nous écoutions quand même : meurtres, vociférations des réseaux sociaux, cris de haine partout : un astre noir, tantôt brûlant tantôt glacé, avec un vent d’imprécations et de plaintes qui soufflait sur les plateaux de télévision. Des averses de petites phrases aigres ou rageuses allaient et venaient à pleins encadrés sur tous les comptes, les courriers des lecteurs retentissaient de colère et d’insultes.
Et puis un jour ou un soir, cela dépendait du territoire, une écharpe douce est venue se mêler aux tourbillons de poussière brûlante, des nuages sont venus se mêler des quatre coins du ciel, il y en a même eu un gros très gris vers le sud ; puis sont accourus de vrais orages accompagnés cette fois d’épais barreaux de pluie bien mouillante qui semaient des flaques un peu partout.
On respirait. Du coup, on a éteint la télé, on a moins tété son téléphone, on a oublié internet, on a cessé de se moquer méchamment de la cousine boutonneuse, de maudire le voisin de camping amateur de pétanque et de barbecue nauséabond, d’espérer la mort de sa belle-mère si acariâtre ; en revanche, on a remarqué que la France est belle, et qu’une jolie fille est une preuve de l’existence de Dieu ; on a même renoncé à quelques vieilles rancunes recuites et moisies, et on a retrouvé les chemins de la bonne affection !
Ami lecteur, vous êtes-vous retrouvé dans une ou quelques-unes de ces esquisses ? Peut-être vous aussi souffrez de la sécheresse des routes longues, des jours de travail fastidieux et sans avenir, de l’ingratitude des cœurs, et peut-être éprouvez-vous une légitime inquiétude dans votre âme de patriote, qu’aucun signe réconfortant ne vient apaiser ? Comme disait un auteur célèbre à une admiratrice de son dernier roman à forte teinte historique : « chère Madame, rassurez-vous, tout est faux ! » Il disait cela avec un sourire aimable et un tantinet moqueur à la fois, car il savait bien qu’à travers ses histoires rêvées, de beaux horizons de vérité se laissaient entrevoir.
Illustration : Apothéose de la guerre, Vassili Verechtchaguine, 1871.