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Pour en finir avec Lénine

Dès les années 30, il n’ était question que du marxisme-léninisme. Lénine a été statufié, y compris par nos intellectuels français. On sait, aujourd’hui, tout sur l’idole. La Russie officielle ne célèbre plus la révolution d’Octobre, on comprend pourquoi.

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Pour en finir avec Lénine

Journaliste au style imprécatoire, agitateur qui préférait préparer « le grand soir » loin d’un pays où il risquait la prison, mais surtout idéologue prisonnier de sa vision fantasmatique du monde, Vladimir Ilich Oulianov, dit Lénine, n’aurait jamais dû parvenir au pouvoir. Un concours de circonstances néfastes devait pourtant l’y conduire en octobre 1917, pour le plus grand malheur de son pays, et du monde.

Stéphane Courtois fut communiste ; il rêva de dictature du prolétariat ; il admira Lénine. Il en est bien revenu et a eu le courage, non seulement de le dire mais de partir en guerre contre une conception de l’homme porteuse des crimes les plus sanglants de l’histoire de l’humanité. Continuant son implacable étude du communisme, il publie un Lénine, inventeur du totalitarisme (Perrin), qui met à mal, une fois pour toutes, la vulgate selon laquelle Oulianov aurait été dépassé sur sa gauche par Staline, véritable créateur d’un modèle politique de type dictatorial. Courtois l’affirme, et le prouve, loin d’avoir servi de prête-nom à Staline, Lénine fut le seul responsable de la mise en place du régime de terreur qui s’abattit bientôt sur le pays.

Révolution d'Octobre 15ème Parade Anniversaire - Politique Magazine

Parade sur la place rouge, lors du 15e anniversaire de la révolution d’octobre : 1932

Bourgeois anobli et rebelle

Rien ne prédisposait pourtant Vladimir Ilich, fils d’enseignant anobli, propriétaire foncier, à devenir maître d’œuvre d’une révolution.

Né en 1870 à Simbirsk, sur la Volga, Vladimir a une enfance heureuse dans un milieu préservé. Ses parents, qui lui transmettent du sang russe, allemand et juif, soutiens fidèles de la monarchie et de l’église orthodoxe, sont ouverts aux idées nouvelles et aux réformes mais rejettent avec indignation les méthodes des groupuscules d’extrême gauche qui veulent obtenir la chute du régime à grand renfort de crimes politiques et de terrorisme.

Tout bascule lorsqu’en 1886, M. Oulianov est foudroyé par une hémorragie cérébrale. La mort du père arrache aux adolescents leurs repères traditionnels. Quelques mois plus tard, les aînés, Alexandre et Anna, étudiants à Saint-Pétersbourg, sont arrêtés pour avoir participé à une tentative de régicide. Considéré comme l’artificier du groupe, – il étudie la chimie –, Alexandre revendique sa responsabilité dans l’attentat manqué. La vague terroriste qui secoue alors la Russie, causant des milliers de mort n’incite pas la justice à l’indulgence ; condamné à mort, le garçon est pendu en mai 1887, à 21 ans.

Ce drame décide de l’avenir de Vladimir. L’on peut se demander ce qu’il serait advenu si Alexandre avait été gracié, imaginer son frère se consacrant à ses brillantes études, vivant l’existence protégée d’un « fils de noble héréditaire », ainsi qu’il aime à se décrire. Mais Alexandre est exécuté et le cadet, qui s’identifie désormais à lui, part dans une dérive vengeresse, se vouant à la cause pour laquelle il est mort. Son renvoi de l’université pour activisme n’arrange rien ; il occupe ses loisirs à dévorer la littérature révolutionnaire dont, bientôt, il se fera le théoricien. Stéphane Courtois, qui a choisi d’écrire, non une biographie classique, mais une histoire de l’idéologue, analyse par le menu ces lectures, leur influence. Très vite, le jeune homme théorise sa propre vision de la révolution, qui ne saurait admettre aucun compromis, aucune solution pacifique, aucune évolution lente, aucune entente avec les mouvements socialistes réfutant l’action violente.

Comme l’explique Dominique Colas dans une étude serrée des années qui suivent la Révolution d’Octobre, Lénine (Fayard), Vladimir Ilich, qui ne sera jamais un homme d’action, – Courtois souligne combien le courage physique lui fait défaut … – est un maître du discours et de l’écriture, un imprécateur, et il s’en servira afin d’éliminer tous ceux qui se mettront en travers de ses projets et de ses ambitions.

Pourtant, en dépit de ses incontestables qualités, son intelligence, son charisme, ses dons oratoires, Oulianov semble voué à la descente aux enfers des déclassés et des ratés. S’il a pu reprendre ses études universitaires et devenir avocat, il est arrêté en 1895 pour son action subversive et déporté en Sibérie, près de la Lena, fleuve qui lui inspirera son nom de guerre. Détention plutôt douce, qui lui permet de vivre aux frais de l’État, de continuer à lire, écrire, préparer la révolution, et d’épouser une camarade de lutte, Nadedja Krouspkaia, vertueux laideron marxiste qui lui servira de femme à tout faire avec un dévouement aveugle. Elle l’accompagne dans un exil qui, d’Autriche en Pologne, de Finlande en France, de Suisse en Allemagne, même adouci par les subventions du Parti révolutionnaire dont il a réussi à prendre la direction, semble ne devoir jamais finir. En 1916, alors que la guerre, en empêchant que lui soient versés ses subsides, met Lénine dans une position financière intenable, il désespère complètement de la révolution.

Mausolée de Lénine - Politique Magazine

Mausolée de Lénine

La révolution sert Lénine

Comme déjà en 1905, les événements de 1917 prennent de court cet homme détaché de la réalité. Mais, cette fois, Lénine est en Russie, où il s’est fait rapatrier d’urgence par les Allemands, contre promesse, s’il prend le pouvoir, de faire sortir son pays du conflit. Les tombeurs de la monarchie, pétris de principes bourgeois, ne tarderont pas à comprendre qu’ils ne sont pas de taille à lutter contre un adversaire pour qui arriver au pouvoir et le conserver excuse et justifie tout.

Courtois a des pages flamboyantes et terrifiantes sur la pensée de Lénine, son opportunisme glacial, son caractère, son incapacité voulue et assumée à éprouver des sentiments normaux, à commencer par la compassion, qu’il abhorre. Cela explique la suite.

Lénine, il le reconnaît lui-même, ne connaît rien ni de la vie réelle, à laquelle il ne s’est jamais frottée, ni de la Russie, imaginée à travers ses fantasmes. Fils de bonne famille, il déteste la paysannerie. En 1891, il a froidement laissé mourir de faim ses moujiks sans fournir le moindre secours. Désormais, il doit confronter son idéologie à la réalité. Bien entendu, elle s’y brisera mais, en révolutionnaire conséquent, il fera en sorte, non de réformer sa pensée fautive, mais d’épurer la société russe qui ne sait pas s’adapter aux grandioses visions de son génie.

Pour cela, il a besoin d’armes ; ce seront la Tcheka et l’Armée rouge, dont il couvrira sans états d’âme les pires exactions. À l’instar de Robespierre, son idole, il sera toujours informé des crimes commis par ses agents sur le terrain, prévenu qu’il a donné les pleins pouvoirs à des bandits de grand chemin défoncés à la cocaïne et la vodka. Il laissera faire. Pareillement, et Courtois est sur ce point formel, il prendra seul, en juillet 1918, la décision de liquider la famille impériale sans procès, faisant poursuivre et exécuter tous les Romanov encore présents sur le territoire soviétique. Toujours inspiré par Robespierre, il entreprend d’anéantir les « Vendée russes », qu’il s’agisse des armées blanches ou des cosaques du Don. Ainsi forge-t-il en peu de temps tous les instruments de coercition qui permettront, entre les mains de Staline et de ses successeurs, de durer par la terreur.

Mais les faits sont tenaces. La construction du paradis rouge se révèle plus difficile que prévu, impossibles peut-être. Effet de la désillusion, et du surmenage, Lénine meurt, victime d’accidents cérébraux répétés qui l’ont laissé intellectuellement amoindri, le 21 janvier 1924.

Restait à rendre à sa dépouille momifiée un culte idolâtrique, satanique eût dit le cher Volkoff, qui compte encore des adeptes.

Quant au bilan de sa tyrannie, Witte, le ministre de Nicolas II, l’avait prophétisé dès 1905 : « Ces tentatives (pour mettre en œuvre le « socialisme ») échoueront, mais elles détruiront la famille, l’expression de la foi religieuse et tous les fondements du droit. » Il avait raison. Cent ans après, nous le constatons tous les jours.

Lénine inventeur du totalitarisme
Stéphane Courtois – Perrin, 500 p, 25 €.

Lénine inventeur du totalitarisme - Politique Magazine

Lénine
Dominique Colas – Fayard, 525 p, 25 €.

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