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Poésie

On croit la saisir, elle s’évanouit, ne laissant derrière elle qu’une pauvre poussière. On feint de l’oublier, en détournant les yeux le cœur battant, elle vous enlace de sa chaude et douce étreinte à la vue d’un enfant, d’un sourire, d’un frisson de feuillage ou d’un boulevard de nuit.

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Poésie

C’est une visiteuse qui aime l’inattendu ; par exemple, en plein sommeil, elle vient se loger sous vos paupières, et vous défend d’ouvrir les yeux, sous peine de disparition ; à peine éveillé, vous la voyez alors chatoyante et ondoyante, et même parfois alors elle vous parle ; oui, elle parle votre langue maternelle, elle vous lance quelques mots, une phrase parfois, et des images ! C’est alors que peut-être elle accepte de se laisser capturer : sortez du lit, asseyez-vous, écrivez la phrase et les mots, évoquez l’image. Ne cherchez pas trop à fignoler, écrivez tant que cela vous démange les doigts, mais sans insister. Puis recouchez-vous et dormez. Le lendemain, tout étonné, relisez, et commencez le travail : il vous faudra des heures et des jours, et bien souvent souffrir, pour extraire, polir, lisser, raturer, vous repentir, et aligner les mots comme les perles d’un collier.

Quelle forme allez-vous donner à cette matière vivante qui remue dans votre tête et votre cœur ? Personne ne vous le soufflera, ni vous l’imposera, et c’est parfois bien embarrassant.

On a cherché à l’emprisonner dans des formes fixes, avec des règles raides comme des barreaux de cellule ; on a inventé des formes nouvelles, toutes plus ingénieuses les unes que les autres ; on a aussi prétendu que toute règle était inutile, que le formalisme la faisait fuir.

On s’est aperçu qu’elle se moque bien de la doctrine : elle s’est laissé séduire par toutes les sortes d’artisans, des acharnés de la métrique aux plus spontanés. Le rigorisme formel n’est donc pas le filet essentiel pour capturer la beauté poétique.

L’important, c’est quelle nous parle ; et qu’elle nous parle en un langage que nous comprenons, qui nous enchante, et qui aussi nous ouvre à une réalité qui échappe au regard ordinaire ; c’est par elle que nous aimons la vue d’une source claire, et c’est par elle que Dieu se révèle à nous dans la Genèse : de l’humble filet d’eau au plus haut du ciel la poésie dresse pour nous une échelle, comme l’échelle de Jacob, où montent et descendent les anges ; elle partage aussi nos chagrins et nos souffrances, elle peut être un cri, mais aussi une prière.

Enfin, elle est l’amie de tous, grands et petits, jeunes et vieux, savants et pauvres de savoir humain. Pour nous en convaincre et sans nous encombrer de chronologie, provoquons la rencontre entre :

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir

Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir

Valse mélancolique et langoureux vertige !

et :

… Puis vint cette voix, environ l’heure de midi, au temps de l’été dans le jardin de mon père…

D’un côté Baudelaire, poète rompu depuis l’enfance aux exigences les plus raffinées de la métrique, de l’autre, la petite Jeanne d’Arc qui ne savait selon ses propres dires ni A ni B… Entre eux, quelle confondante et mystérieuse parenté !

Tel est l’amie qui nous a accompagnés depuis les origines ; un peu délaissée aujourd’hui, elle n’a pourtant pas disparu ; elle semble dormir dans les recueils oubliés ; elle ne demande qu’à se réveiller sous nos yeux, et même, peut-être, à jouer encore à la visiteuse de nuit…

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