Civilisation
À la recherche du XVIIIe siècle
Le père de Berthe Morisot, préfet à Limoges, y créa un musée des Beaux-Arts. Une des premières œuvres données fut un ravissant portrait de Nattier.
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Pour l’auditeur tout juste installé, plus ou moins bien assis, plus ou moins heureux, voici l’orchestre sous les caryatides impassibles et dorées, habits noirs, plastrons blancs et amples robes un peu sévères. Et en attendant le Chef, chacun joue pour soi tout seul ou par deux ou trois. Et c’est un nuage de notes qui s’enchevêtrent et se choquent, une multicolore récréation avant la création !
Mais voici, hiératique et souriant, le Chef. D’un geste large, il rassemble le troupeau et impose un silence peuplé d’attente recueillie, un silence gros des harmonies à venir… Et commence le concert. Voici, déployée sous la main du Chef, la première mélodie, que vous happez de votre fauteuil et qu’il vous faut bien retenir avant qu’elle ne disparaisse dans les mille feux de l’orchestre !
En effet, voici que ce monde étrange s’agite et s’ébroue, éclate en mille fusées, se disperse aux quatre vents en jubilant, et peut-être vous sentez-vous un peu perdu ; mais il revient, rassurez-vous, docile sous la baguette, reprendre en chœur le thème qui vous enivre, vous charme, vous enchante ou doucement vous torture. L’orchestre, sous la baguette du chef, est un être multiple et chatoyant de ses instruments si différents qui jouent apparemment dispersés ; il est en réalité uni et rassemblé en un ordre puissant qui est celui du compositeur interprété par le Chef. Explorons et surtout, écoutons un peu…
La flûte hulule ses fluides modules ; elle s’élance et s’étourdit de rencontres belles sous la ramée, sous un ciel de printemps… Le basson contrefait le pas pesant du soldat sur le pont de bois. La contrebasse dompte le tempo et gronde sous l’archet. La trompette, comme un impala parachuté dans la pampa, comme une aube triomphante, un voile éclatant qui claque au vent, un soleil qui explose en mille lances dorées. Le violon allègre nous pique de pizzicati, rit et bondit et s’étire dans le terrible aigu ; et parfois gémit comme un vent d’hiver ou un triste souvenir. Le violoncelle pleure comme une dame qui chante pourtant, une dame de haut parage, quasi triste en son vieux château mais qui rien, oh rien ne dédaigne et varie infiniment. Le piano demi-sommeille en adagio ou largo méditatif et subtil, puis il s’éveille à la tempête, se plie, se déplie et se précipite en un galop noir et blanc au plus rapide du torrent bondissant. Le cor hautain et nostalgique clame au loin de mornes regrets, et remplit le soir des échos vibrants d’un automne d’or. La harpe divinement décline ses chastes et féminines volutes, et ses arpèges par grappes lumineuses dessinent d’évanescentes légendes… La double timbale à cheval jamais ne s’emballe, mais plutôt sagement précède et rythme les sonneries solennelles et les mâles défilés.
Et le temps oublié revient vous empoigner, car l’orchestre, qui a donné la charge finale du bonheur, se lève et s’incline, modestement vous semble-t-il, sous la houle crépitante des bravos.