On est vraiment très loin des danses macabres si chères au XVe siècle. Aujourd’hui, la mort se fait discrète. L’égrotant, on l’envoie dare-dare à l’hôpital afin d’épargner à ses proches l’odieux spectacle de son agonie. Dès qu’il a passé l’arme à gauche, on le maquille pour qu’il paraisse plus vivant. On ne le ramène surtout pas chez lui, de peur d’effrayer les voisins. Par voie de conséquence, on ne drape plus sa maison comme on le faisait encore au Moyen-Âge, c’est-à-dire vers 1950. On ne dit pas qu’il est mort, on dit qu’il est passé de l’autre côté du miroir, sur l’autre rive, qu’il est au ciel, qu’il nous voit de là-haut (probablement accoudé à un balcon fleuri), qu’il est devenu poussière d’étoiles. En attendant, on l’amène à l’église ou dans un lieu plus laïc, non pas dans un corbillard avec des chevaux à pompons et encagoulés comme des membres féroces du Ku Klux Klan, mais dans une voiture sportive à l’avant de laquelle ont pris place deux personnages facétieux qui ont tout l’air de deux mafieux enjoués. Il y a encore un cercueil, pas pour longtemps parce qu’on va le cramer, mais on passe des musiques entraînantes et les petits-enfants de la défunte, qui était bonne cuisinière, viennent au micro détailler les recettes de la grand-mère de telle sorte que tout l’auditoire se réjouit de les appliquer et salive déjà. Bref, la mort de nos jours joue bien à cache-cache.
Mais elle existe toujours et arrive encore à se faire entendre, d’une toute petite voix certes, mais d’une façon nouvelle, qui montre qu’elle n’est pas du tout rétive au progrès et qu’elle a trouvé le moyen de s’insinuer dans les préoccupations de l’homme moderne s’il lui reste un petit peu de sensibilité et de lucidité. Elle est entrée dans les fours à micro-ondes, les chaînes Hifi quand on appuie sur la touche « display », les sèche-mains dans les urinoirs, tous ces appareils qui se multiplient et nous cernent, résurrections des antiques sabliers qui figuraient dans les vanités et qui décomptent les secondes et nous rappellent que chaque seconde nous rapproche de notre fin