Richard Millet dresse un joli panorama français, c’est-à-dire qu’il jette une lumière crue sur plusieurs désastres : la langue, abâtardie d’anglais (French Touch) et embarrassée de jargon (en situation de rue), la société, plurielle et mixée (lisez Travailler dans l’humanitaire, apologue joyeusement féroce !) au point d’être un mélange de misères physiques et d’immondices intellectuelles, l’actualité, encombrée de Greta Thunberg et de Cate Blanchett, la culture, la morale…
On ne sort pas revigoré de la visite mais plutôt rasséréné : Millet voit, scrute, épingle, dissèque, classe et écrabouille tout ce qui nous énervait sans que nous arrivions à mettre le doigt dessus ou à l’exprimer convenablement. Comme l’époque est prolifique, nos énervements sont légion et l’auteur en a collectionné trois-cents, exposé sans ordre alphabétique. On sent que le moindre relâchement dans la langue désigne un pan de civilisation écroulé et que n’importe quelle ouverture à l’autre n’est le plus souvent que le déguisement d’une haine de notre propre culture : « les commissaire politiques du « mieux-disant culturel », donc de la pensée unique, traquent inlassablement l’extrême droite partout où elle n’existe pas, afin d’imposer un récit nouveau […] dans lequel un obscur roitelet du Dahomey vaut autant que Louis XIV, une chaman yakoute que Marie Curie, un griot papou que Proust, un tambourineur zoulou que Ravel. » Comme un phare dans la nuit, comme un fil d’Ariane, Richard Millet invective régulièrement Le Clézio, parangon du commun correct, diablotin à exorciser – et c’est plaisant.
Richard Millet, Nouveaux Lieux communs. La Nouvelle Librairie, 2024, 240 p., 21,90 €