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La vie dans les mots

Voici d’abord un livre peu banal, extraordinaire même, à la façon de ces machines tarabiscotées, dont le dessin occupait une demi-page du journal Cœurs vaillants ; elles ne servaient qu’à faire basculer une trappe ou à enfoncer un clou, mais la complication de leurs mécanismes suffisait à nous enchanter.

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La vie dans les mots

Énigmatique est déjà le titre inventé par Xavier Girard : Inconvénients de la perfection (éd. Arléa). Que veut dire cette formule close, comme une serrure qu’on voudrait bien faire jouer, mais dont on ignore les secrets ? Peut-être – et cela devient vite sûr – que ces secrets sont dans les mots laissés au bord du chemin, comme les cailloux du Petit Poucet. En les suivant, on reconstituerait le chemin, et tout au bout, une porte s’ouvrirait – peut-être. Il suffirait de refaire tout ce chemin, celui des vacances et des retours, avec ces noms de lieux, qu’on égrène, qui « continuent à agir au-dessus de nos têtes », ces noms qui gardent la clé d’une vie mystérieuse, impénétrable, celle du père qui se tait, « ne développe jamais pour nous garder dans l’ignorance des raisons pour lesquelles ces lieux l’ont marqué. » Et heureusement ! Parce que « si les noms n’avaient pas résisté au silence, il n’y aurait rien. » Rien à raconter, à chercher inlassablement, rien à dire, parce que pour faire revivre le « côté de ce temps des parents » – comme Proust a fait revivre le « côté de chez Swann » et celui « de Guermantes » en écrivant le « temps perdu » afin d’en faire un « temps retrouvé » – il faut avoir compris que « la vie est à l’intérieur des mots, comme Pinocchio et Gepetto dans le ventre du gros poisson. »

L’énigme, ce sont les mots, ceux avec lesquels nous avons appris la langue que nous parlons, dans lesquels nos parents ont déposé les trésors qu’ils nous destinaient, et que nous transmettrons, les mots qui se taisent pour garder intacts leurs secrets. Que veulent-ils nous dire, qu’ils ne nous disent pas ? Eh bien ! puisqu’ils ont décidé de nous priver de leurs confidences, nous les renverrons au silence, nous tisserons autour d’eux des toiles de silence, des pièges à prendre les paroles, qui furent lâchées « sans cesser de se taire ».

Peindre, c’est transmettre la sensation du monde sans les mots

Le père de l’auteur est peintre, un peintre qui a cessé de peindre depuis la fin de la guerre, qui ne s’intéresse plus qu’à la présence des choses. « Il s’intéressait exclusivement à ce qui était là, tout près de lui, sans gestes, et dont il pouvait se saisir et ramasser la substance visible en un tout qui se tienne d’aplomb. Il n’avait rien d’autre à dire que ce qu’il voyait autour de lui à portée de main. » C’est pourquoi il recommandait « pour bien dessiner une tête » de d’abord « la prendre dans vos mains comme un galet », s’inspirant de ce que faisait sûrement Chardin pour peindre une pêche en la tenant d’abord « au creux de sa main », afin de la connaître au toucher. Ce que Chardin rend dans ses natures mortes, c’est ce qu’il a senti en maniant les choses. Peindre, c’est transmettre la sensation du monde sans les mots, qui, de toutes manières, se tairaient avec obstination.

Dans une maison où personne ne lit, l’auteur est le bizarre, celui qui cherche à unir les mots et les images, celui qui veut dire les choses peintes, interroger les autoportraits, surtout quand ils sont peints de dos. Son père lui a appris à ne pas se livrer, à seulement se tenir là. Être une présence, imposante de tout son mystère. Pour apprendre petit à petit à regarder, non pas seulement avec les yeux, mais avec tout le corps et toute l’âme. Aussi l’aboutissement de cette éducation mystérieuse est-elle dans la contemplation en forme d’extase du retable de l’Agneau mystique des frères Van Eyck à Saint-Bavon. Un aboutissement qui s’étale sur presque toute la vie, car ce qui aboutit commence dans l’enfance, puis s’épanouit, se révèle petit à petit. « Il m’a fallu longtemps pour comprendre que le silence de mon père réunissait l’envers et l’endroit du retable et les opposait à jamais. » Alors, ailleurs, avant, le fond d’or des primitifs flamands attend que l’œil voie. Il verra beaucoup plus tard, en visitant son père « dans l’étroite chambre d’un miroir », le découvrant assis à contre-jour, « comme dans un tableau », avec « un mimosa en fleurs auquel il tourne le dos », et qui « élève sous le ciel bleu un immense fond d’or. » Ce même fond d’or que les peintres byzantins inventèrent, qu’ils transmirent au moyen âge, et qui dura jusqu’à ce que Van Eyck le remplace par un paysage réaliste, comme si le père remontait le temps pour mourir, illuminant son abandon de la peinture – qui devient une gloire de rayons.


Passons à autre chose, qui nous ramènera au même. Richard Millet est un fou de musique, qui a voué sa vie à devenir écrivain, c’est-à-dire à se forger un style, qui « n’est pas un « bien-écrire » [mais] avant tout une conquête de soi, donc une arme. » Il a publié beaucoup de livres – trop disent ses ennemis. Il tient aussi un journal, dont il propose le tome IV aux éditions Les Provinciales, lequel concerne les années 2003 à 2011, celles passées à faire l’éditeur pour Antoine Gallimard, dans la certitude de ne pas être à sa place, donc dans la certitude de se faire « jeter » un jour ou l’autre. C’est alors qu’il a publié un prix Goncourt, Les bienveillantes de Littell, « une opération para-littéraire » démoralisante dont il nous livre les secrets, mais aussi l’éblouissant La blessure et la soif de Laurence Plazenet – que je vous recommande encore une fois en passant – cette romancière que l’auteur considère comme une des trois ou quatre véritables écrivains d’aujourd’hui, et qui est aussi la présidente des Amis de Port-Royal.

Richard Millet nous parle de son angoisse, de la manière dont il la soigne, peu recommandable sans doute, mais dont il faut simplement prendre acte, car nous n’avons pas à juger, afin de ne pas tomber sous le fléau du Juge unique. Il nous dit aussi son amour de sa femme, de ses filles, son respect pour la famille. Tout cela nous fait entrer en familiarité avec un homme de douleur, qui demande à être reconnu pour un combattant, celui du agone christiano certes, mais aussi celui de la littérature, car celle-ci est entrée en agonie, en France, et partout dans le monde, sous les coups redoublés de la littérature anglo-saxonne qui n’est plus qu’une propagande au service de la mort de l’homme, ce que Bloy, Bernanos, Chesterton et quelques autres avaient vu. Ce que Richard Millet apporte de neuf, c’est qu’il nous fait comprendre comment cela se fabrique dans les officines de la déchéance que sont devenues les maisons d’édition usurpatrices des vitrines. Les livres qui paraissent sont des produits collectifs, calibrés pour un public de plus en plus inculte, lui-même fabriqué par l’Éducation nationale. Tout le monde le sait, mais tout le monde veut l’ignorer, le taire, s’indigner contre ceux qui rompent le silence mortifère, satanique.

Quelques lancers de grenades dans les salons de la mort qui pue

Richard Millet nous rappelle que le Démon est au centre du projet mondialiste de crétinisation, il nous démonte ses procédés, il nomme ses sbires, ses propagandistes, ses idiots utiles. Quel jeu de massacre ! Il faut se souvenir que Richard Millet a combattu au Liban aux côtés des phalangistes, comme il se plaît à nous le rappeler, parce que nous sommes en guerre, pas comme les journaleux nous le disent, répétant les bavasseries des politichiens, mais en guerre pour sauver notre âme, en commençant par essayer de sauver notre langue, « une langue particulièrement riche, somptueuse même, et d’une grande précision analytique », en la défendant contre tous les pauvres types et les vendus qui la profanent. « France, mère des armes et des lois », chantait le poète en exil à Rome. France, mère de la plus belle langue qui soit, clame l’auteur entre deux coups d’estoc, trois rafales de pistolet mitrailleur, quelques lancers de grenades dans les salons de la mort qui pue.

Il est surprenant qu’un tel lutteur cite La Rochefoucauld en inversant son propos. L’auteur des Maximes a écrit : « l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. » ; l’auteur lui fait dire : « … un hommage que la vertu rend au vice. » Est-ce par manie de retourner les phrases célèbres, comme il le suggère plusieurs fois ? Ou par une inattention – voulue ? – qui trahirait son secret ? Quoi qu’il en soit, alors que dans la maxime classique le vice s’incline devant la vertu, dans son inversion la vertu reconnaît au vice quelque droit, elle suggère qu’il peut y avoir une mystérieuse présence considérable dans ce qu’on appelle le vice. D’une façon similaire, Richard Millet sert l’entreprise de destruction de la littérature que mènent les éditions Gallimard, comme si on pouvait, on devait s’incliner devant cette hideur, lui reconnaître une valeur de manifestation. Car en faisant le mal avec une si triomphale hypocrisie, les marchands du Temple non seulement singent la vertu, mais prétendent l’honorer si mensongèrement que ce sont leurs vices qui en deviennent nécessaires, comme Judas est nécessaire au plan de Dieu.

Avec ce journal écrit dans un style qui fait naturellement autorité, à la manière dont la Parole s’impose, on crapahute quelque part entre l’Apocalypse et les Souvenirs de la maison des morts, on s’entraîne à survivre, à vaincre par l’effacement de soi.

 

Inconvénients de la perfection, Xavier Girard, Arléa, 2023, 320 p.

Journal 2003-2011. Tome IV, Richard Millet, Les Provinciales, 2023, 600 p., 32 €.

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