Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Le Conseil Constitutionnel a fini par autoriser des aberrations biologiques et éthiques, les chimères homme-animal. Par sa servilité, plus rien ne garantit que des dérives plus terribles encore ne surviennent.
La décision semble être passée en catimini dans un été tumultueux, fortement focalisé sur le débat relatif au « passe sanitaire ». Pourtant, le sujet était important, ne serait-ce qu’en raison de son enjeu : une loi qui autorise certaines démarches dans le domaine de la bioéthique que d’aucuns qualifieraient de « transgressives ». Le Conseil constitutionnel a préféré faire l’autruche concernant un texte controversé. En effet, le 29 juillet dernier, il a donné un quitus à une loi dont la discussion avait commencé en septembre 2019 pour se terminer en juin 2021. Le texte devait traduire dans le droit une promesse du candidat Macron au dernières présidentielles : ouvrir la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. Avec ainsi des conséquences explosives sur le plan du droit de la filiation et même au niveau de la famille : la mise en place d’une double-filiation maternelle qui institutionnalise en réalité l’existence d’enfants sans père. Quelque chose d’inédit qui aurait dû bousculer certaines consciences, et qui avait en tout cas mobilisé des Français depuis janvier 2020. D’autres dispositions du texte ont également été introduites, en matière de recherche, tout aussi contestables. C’est au terme d’un raisonnement rapide que le Conseil constitutionnel valide dans sa décision du 29 juillet 2021 plusieurs dispositions controversées.
La question des chimères était dans le collimateur non seulement des requérants mais de certains parlementaires au cours des débats sur la loi bioéthique. Les chimères, ce sont ces organismes composés de cellules humaines et animales qui aboutissent précisément à brouiller la frontière entre l’homme et l’animal. On songerait aux fameux êtres de L’Île du Docteur Moreau obtenus par assemblage de plusieurs espèces existantes, mais qui aboutissaient à la création de créatures mi-homme mi-animal… Ce qu’un romancier assez imaginatif pouvait imaginer au début du XXe siècle est désormais techniquement possible. La possibilité technique et éthique de « mixer » ces deux catégories d’êtres n’est donc plus… chimérique. Plusieurs amendements avaient été adoptés au Sénat, visant à maintenir cette interdiction de créer des chimères. Ils furent tous écartés par l’Assemblée nationale. En effet, l’ancienne version de l’article L 2151-2 du Code de la santé publique affirmait sans ambages que « la création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite ». Sage interdiction qui révélait que le législateur n’était pas insensible aux interdits qu’il a pourtant fait disparaître dans d’autres domaines. Or le nouveau dispositif introduit par le projet de loi de bioéthique se bornait à prévoir que la « modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces est interdite ». C’était une interdiction moindre que la précédente, nonobstant les assurances du Gouvernement sur l’absence de changement de régime juridique contredites non seulement par les parlementaires, mais par le Gouvernement lui-même quand il déclarait, paisiblement, qu’il n’y avait « aucun cadre interdisant de conduire des recherches sur des embryons animaux chimériques »[1]… Or le Conseil constitutionnel se borne à affirmer que les « dispositions contestées » du nouvel article L 2151-2 du Code de la santé publique « n’ont pas pour objet de modifier le régime juridique applicable à l’insertion de cellules humaines dans un embryon animal, qui est par ailleurs défini par les articles 20 et 21 de la loi déférée » (cons. 30). Qui croire ? Bref, par une contradiction entre ce qu’il dit et ce qui était affirmé en séance ou en commission, le Conseil constitutionnel valide une disposition qui admet, selon les termes du débat parlementaire, que le texte « ouvre pleinement la voie aux recherches conduisant à la création d’embryons chimériques à partir d’embryons animaux auxquels seraient ajoutées des cellules d’origine humaine »[2].
De même, c’est moyennant un raisonnement centré sur le seul droit positif législatif existant, donc sans assise supérieure à la Constitution, que le Conseil constitutionnel valide un dispositif qui autorise l’ouverture du champ des recherches aux embryons transgéniques. Pour le Conseil constitutionnel, la recherche demeurerait possible moyennant certaines garanties : inscription dans une finalité médicale ou amélioration de la connaissance de la biologie humaine et impossibilité d’être effectuée sans recours à des embryons humains, autorisation de l’agence de biomédecine qui doit vérifier la pertinence de la recherche scientifique et respect de plusieurs articles du Code civil. Ces garanties, pratiques, procédurales ou purement législatives (les articles 16 à 16-4 du Code civil), ne font ressortir aucune limite d’ordre constitutionnel. Il n’existe donc aucune garantie que le Conseil aurait pu tirer de la Constitution comme il le fit dans le passé (sauvegarde de la dignité de la personne humaine ou respect de l’être humain dès le commencement de sa vie). Expliquons-nous : les garanties invoquées par le Conseil constitutionnel pour autoriser les actions sur l’embryon ne relèvent que des seules garanties existantes, qu’il s’agisse du Code civil ou du rôle de filtre de l’agence de biomédecine. Or, par le jeu de législations ultérieures, ces garanties pourraient aisément disparaître à moins que le Conseil constitutionnel ne censure ces législations. C’est dire leur fragilité. Si elles avaient été constitutionnelles, les garanties n’auraient pu être aussi facilement contournées que moyennant révision de la Constitution. Or, une révision est soumise à des conditions strictes, une majorité qualifiée des trois cinquièmes des parlementaires (soit 555 sur 925) pour être adoptée par le Parlement réuni en Congrès[3]. La Constitution aurait donc pu jouer le rôle de garant. N’aurait-il donc pas fallu que le Conseil constitutionnel donne un fondement plus solide à ces garanties quitte à citer sa jurisprudence ou à l’approfondir ?
Il y a donc de sérieuses réserves sur certains aspects du texte. Comme à l’égard de la recherche biomédicale. On sait que la liberté des chercheurs a été encadrée dans le passé. On l’a vu en matière de négationnisme. Curieusement, les barrières morales que le législateur a pu poser dans certains domaines de la recherche n’ont pas été étendues à d’autres domaines… On ne peut légalement nier la Shoah mais en revanche on pourra toujours triturer l’embryon moyennant un quitus scientifique dont rien ne garantit qu’il ne soit pas complaisant… Pourquoi ce grand silence qui frise le scandale, alors que la polémique était sensible ? Le Conseil constitutionnel a-t-il voulu ménager le pouvoir exécutif sans se mouiller dans un sujet aussi délicat ? Un bon observateur des décisions juridictionnelles se plaignait de leurs raisonnements de plus en plus problématiques. n
Illustration : LAURENT FABIUS, GARDIEN DE L’HONNEUR DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL.
[1] . Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, JO Sénat, séance du 28 janvier 2020, p. 658.
[2] . Rapport n°237 fait au nom de la commission spéciale sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique, Sénat, 8 janvier 2020, p. 207.
[3] . Depuis juillet 2008, il n’y a pas eu de révisions constitutionnelles. La raison est simple : les majorités présidentielles successives de Hollande à Macron ne disposent pas d’une majorité qui réunirait au Parlement les trois cinquièmes des députés et des sénateurs. On sait que LREM est majoritaire à l’Assemblée nationale, mais minoritaire au Sénat.