Civilisation
De nouveaux types de dictature qui attestent le retour de la prévalence de la Realpolitik
Le caractère révolu des dictatures fascistes et communistes.
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S’il était besoin d’une preuve supplémentaire de la déliquescence des prétendues élites républicaines et du discrédit dans lequel elles sont tombées auprès de l’opinion publique, trois petits romans bien bâtis, sur fond d’intrigues politiques et policières, l’apporteraient. Comme souvent avec ce type de littérature, ces livres en disent long sur l’état de notre société.
En ce début mars, il n’y a même plus de suspens : Ghislain Dupuis a désormais creusé avec son unique concurrent sérieux un tel écart qu’il est d’ores et déjà le prochain maire de Paris et, sans doute, à terme, un président de la République tout à fait plausible. Suivre la campagne des municipales, voilà ce à quoi aspire Pascaline Elbert, journaliste politique dans un grand hebdomadaire mais, depuis qu’elle est mère de famille, les horaires de crèche et les maladies infantiles sont venus méchamment plomber sa brillante carrière. Au point de la faire rétrograder au service « tendances et air du temps » qui, évidemment, convient bien mieux à une femme que les affaires sérieuses.
Pascaline enrage donc lorsqu’elle se voit chargée du dossier consacré à la regrettée Mélanie Aubant, actrice préférée des jeunes filles, stupidement écrasée par un projecteur sur un plateau de tournage. L’affaire se corse pourtant de manière inespérée lorsque Pascaline découvre que feue Mlle Aubant vivait une liaison adultère et secrète avec Ghislain Dupuis. Un seul mot de la comédienne à la presse, et la mairie de Paris passait sous le nez du candidat … Jusqu’où un politicien ravagé d’ambition est-il capable d’aller pour assurer son élection ? Voilà une question qu’il pourrait être dangereux de poser.
Claire Bauchart, journaliste dans la presse féminine, peint, avec Ambitions assassines (Le Rocher. 160 p. 14 €.) un tableau sans concession des liens douteux et des compromissions louches entre la presse et le pouvoir, entre le pouvoir et le monde du spectacle. L’argent, la puissance et la gloire factice s’entremêlent dans des cercles de plus en plus étroits, coupés du monde réel qu’ils croient encore faire rêver. Ici, le réveil sera dur. L’on aimerait qu’il en soit véritablement ainsi.
Un mot de trop et toute votre vie bascule … Tel est le constat que fait Stéphane Letourneur, chroniqueur politique apprécié de nombreux hebdomadaires et chaînes de télévision, après qu’un micro resté ouvert ait répercuté à la planète entière, Internet aidant, un commentaire salace lancé à une députée … Traîné dans la boue pour son sexisme, Letourneur, chassé de chez lui par sa compagne, écarté de toutes ses collaborations, pris à parti dans la rue, est bientôt acculé au suicide. Mais, alors qu’il allait commettre l’irréparable, Pauline Bland-Meunier, jeune journaliste de droite et catholique, s’avise, dans un réflexe de charité chrétienne, de tendre une main secourable à l’adversaire à terre. Hébergé dans sa maison familiale du Jura, il pourra terminer le livre qu’il était en train d’écrire, et se faire oublier des médias et du public. Effectivement, quelques jours suffisent pour que l’enlèvement de l’ex-président Sarkozy, affaire autrement plus excitante, éclipse Letourneur. À un détail près : le commando auteur du rapt se planque juste en face du refuge du journaliste en disgrâce. Et celui-ci ne peut résister à la tentation de revenir faire la Une. À ses risques et périls.
David Desgouilles propose avec Dérapage (Le Rocher ; 204 p ; 16, 90 €) une intrigue bien menée, au dénouement d’un cynisme aussi féroce que moral, en même temps qu’une analyse très intelligente du microcosme de la presse parisienne, écrite ou télévisée, de ses compromissions avec le pouvoir politique, du poids d’Internet sur l’opinion et des manipulations qui en découlent. L’on déplorera seulement que, percevant si clairement le problème de l’information, de la vérité et de la liberté d’expression dans notre société, il n’aille pas jusqu’au bout de sa démonstration.
Patron de la PJ bordelaise, Roch Le Stang a sacrifié sa vie à son métier. Aussi, lorsqu’il se voit à l’improviste infliger une promotion flatteuse mais qui l’éloigne définitivement du terrain, a-t-il le sentiment de perdre sa dernière raison d’être. Pourquoi le met-on soudain au placard ? Qui, à l’Intérieur, est décidé à se débarrasser de lui ? Pourtant, aucune des affaires sur lesquelles il travaille n’apparaît spécialement sensible … Monté à Paris pour essayer de comprendre, Le Stang va voir ressurgir un amour de jeunesse qui l’appelle au secours, être confronté au cadavre d’une inconnue dont tout laisse supposer qu’il s’agit de sa fille, et se retrouver traqué par des tueurs infiltrés au sein du ministère de l’Intérieur. En cinq jours d’un Printemps acide (éditions de Borée. 190 p. 17,90 €), le Breton taciturne, décidé à sauver sa peau et venger Rochelle, l’enfant qu’il n’aura jamais connue, va devoir démanteler un réseau impliquant les plus hautes sphères de l’État.
Patrice Tudoret signe un roman efficace et haletant, resserré et dur. Et, au fin mot de l’histoire, l’on n’est même pas choqué tant le lecteur français est prêt à admettre le pire des princes qui le gouvernent.