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« Les prophètes et les poètes nous font respirer l’oxygène métaphysique »

Un entretien avec Brigitte Fossey, marraine du festival Sacrée parole paroles, sacrées paroles.

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« Les prophètes et les poètes nous font respirer l’oxygène métaphysique »

Quand Jean Vilar crée le festival d’Avignon, il suscite l’intérêt du père Robert Chave, avec qui il imagine le festival Foi et culture. Une initiative reprise aujourd’hui par Serge Sarkissian et Stéphane Baquet qui veulent faire redécouvrir au grand public des œuvres souvent méconnues et pourtant aussi inspiratrices qu’elles sont faciles d’accès.

Pourquoi attendre 2024 pour enfin avoir un festival consacré à ce thème de la spiritualité ?

Depuis Jean Vilar, il y a toujours eu des spectacles mêlant théâtre et spiritualité, qui en font encore partie. Mais ce festival que nous créons dans le festival off est entièrement dédiée à ce thème, c’est vrai. J’en suis très heureuse parce que c ‘est un festival qui est pour tout le monde, pas seulement pour les religieux. Vous avez Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, de Péguy, interprété par Catherine Salviat, de la Comédie-Française, qui interprète aussi la « Prière à la Vierge » de Doña Prouhèze dans Le Soulier de satin, de Claudel. Et elle lit aussi un très beau texte de Bernanos, le Dialogue des Carmélites, qu’elle a déjà joué avec Françoise Seigner et d’autres merveilleuses comédiennes. Elle l’a joué devant le pape !

Vous évoquez Catherine Salvia et, justement, le spectacle que vous jouez, La Passion du Verbe, a commencé avec une rencontre que vous aviez eue avec Catherine Salviat, en 2015 ou 2016, qui avait d’abord donné lieu à un livre, La Passion du Verbe. Regards de femmes.

Oui, édité par le créateur du festival Sacré Parole, Paroles Sacrées, Serge Sarkissian. Serge Farquichon est éditeur. Il a créé ce festival avec Stéphane Baquet. Nous avons déjà travaillé plusieurs fois, Serge Sarkissian et moi, avec Catherine Salviat, avec Michel Lonsdale. Ils disent très gentiment que je suis la marraine du festival Sacré Parole, Parole Sacrée, mais en fait, c’est un peu Michel Lonsdale qui est le parrain de ce genre de choses, c’est par lui que nous nous sommes tous rencontrés.

Et il sera présent aussi à ce festival puisqu’il joue la voix de Dieu dans le spectacle Job ou l’errance du juste.

Et il la joue pour une bonne raison : il a créé cette pièce et joué le rôle de Dieu. Et comme il est parti au ciel maintenant, on a gardé sa voix, son enregistrement dans ce rôle. Il donne maintenant la réplique à Bernard Lanneau, qui joue le rôle de Job.

Pourquoi ce goût pour les textes religieux ?

Ça fait très longtemps que je donne des lectures avec des musiciens. Des lectures de psaumes ou des évangiles, qui sont pour moi des textes non seulement religieux et sacrés, mais aussi très poétiques, très telluriques dans leur simplicité. Je lis dans les églises ou dans les théâtres, ça dépend, pour que tout le monde puisse y avoir accès.

Dans La Passion du Verbe, il y a aussi beaucoup d’auteurs, Victor Hugo pour ne citer que lui, qui ne sont pas spécifiquement catholiques ou même qui ne sont ni catholiques, ni croyants. Qu’est -ce qui a présidé au choix des œuvres ?

C’est un choix commun entre Serge Sarkissian et moi. Il tenait beaucoup à certains textes, comme le texte de Gabriel Celaya, qui célèbre la poésie comme raison de vivre. C’était un résistant républicain pendant la guerre d’Espagne. On a fait notre marché chacun de notre côté ! Il tenait beaucoup au texte du patriarche Athénagoras, qui pendant la guerre a écrit un texte magnifique, « Je n ‘ai plus peur de rien ». Et puis « La petite fille Espérance » de Péguy, et Verlaine, et un texte sur la liberté, de Victor Hugo ; et il tenait beaucoup au poème de l’exil du grand poète arménien Abovian. Et moi, je voulais qu’il y ait aussi de la prose ! Donc, j’ai choisi un texte que j’aime beaucoup, dans Les Misérables, qui est la rencontre de Jean Valjean avec Mgr Myriel, l’évêque de Digne. C’est sans doute un chef-d’œuvre de la langue française, un chef-d’œuvre de tension. C’est absolument magnifique, c’est un texte que je trouve pascalien, qui me fait penser au pari pascalien. J’aime beaucoup ce texte de Pascal sur le pari. Personne n’est allé voir si Dieu existait ou pas dans l’au-delà, pourquoi ne pas parier qu’il existe ? C’est important, je crois, par moments, de se reposer les questions éternelles, comme disait mon professeur de philosophie, et de retourner aux sources : pourquoi sommes-nous là ? pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? et où allons-nous ? Il est certain que les prophètes et les poètes se les posent d’une manière créative, d’une manière qui nous ressource et qui nous enrichit, qui nous donne de la vitalité, qui nous donne un souffle, qui nous font respirer l’oxygène métaphysique. C ‘est quand même très important, même pour les non-croyants. Il y a des non-croyants qui aiment ces textes parce qu’ils sont tellement beaux ! Il y a un texte de Prévert que j’aime particulièrement. Prévert a dit « j’ai toujours été intact de Dieu ». C’est-à-dire qu’il n’a pas été choisi, qu’il n ‘a pas été inspiré par la foi. Mais c’est un homme qui a vraiment une charité chrétienne, une solidarité, un amour humain immense. Et quand il écrit le, poème « Cet amour », par exemple, c’est vraiment presque mystique. Et puis il y a aussi la politesse du désespoir, il y a aussi l’humour. J’aime beaucoup Desnos, j’aime beaucoup Apollinaire, j ‘aime beaucoup Rimbaud, « Ma bohème » ou « Le bateau ivre », parce que ça raconte quelque chose d’un état de l’âme. Ce sont des passages par lesquels nous passons. Simone Weil disait « Tous les monstres sont en nous ». Je crois sincèrement que tous les états d’âme sont en nous. Il y a des moments où on passe par le noir, et des moments où on passe par le blanc, et on reçoit la lumière, il y a des moments de grâce. Ionesco parlait très bien de ça. Il avait beaucoup de mal à croire, mais il parle à un moment donné, dans un de ses textes très intimes, d’un moment d’extase où il a senti que Dieu existait. On ne peut pas sentir ça à chaque instant, mais on peut se pencher sur la question, travailler, se mettre en harmonie avec des textes, et c’est du théâtre. Le Cantique des Cantiques, que va interpréter Céline Samie, c’est fait pour être joué, pour être dit, pour être crié, pour être murmuré par moments. C’est une merveille, le cantique de Salomon. Une merveille.

Est-ce que La Passion du Verbe a pour vocation de faire comprendre que la mystique n’est pas quelque chose de réservé aux mystiques estampillés, à des âmes d’élite secrètes et rares, mais qu’au contraire on peut tous accéder à cet état de proximité avec le divin ?

Le divin, il est en nous, il est dans notre cœur, il est dans l’esprit de tout un chacun. On est tous un petit morceau de divin. Le respect pour l’autre, ça commence comme ça. Bien sûr, « tu aimeras Dieu plus que tout », mais tout de suite après, « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Je trouve que le langage, à l’intérieur de nous, c ‘est un peu une signature de l’esprit de vérité. Pour moi, Dieu c’est l’esprit de vérité. C’est aussi ce que Jésus exprime quand il dit « J’avais soif et vous m’avez donné à boire. J’avais faim, vous m’avez donné à manger. J’étais en prison et vous êtes venus visiter. » Et à ceux qui s’étonnent il répond : « Ce que vous faites pour le plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites. » Pour moi, c’est l’évangile le plus éclairant, et la plus difficile à comprendre aussi, à savoir qu’à l’intérieur de nous il y a une part de la volonté de notre existence : c’est Dieu, c’est la création, c’est la vie, on peut l’appeler de plusieurs noms.

Pensez-vous que par rapport à ce mystère, et notamment cette manière que Dieu a d’exister en nous sans que nous le comprenons forcément, les poèmes, les textes que vous lisez sont une moyen de passer cette barrière de l’incompréhension ?

Poésie veut dire création, en grec. Poésie. Dans les poèmes, il y a l’inspiration et le souffle du poète qui se traduisent par des mots. Il est intéressant de retrouver cette inspiration qui dépasse le poète lui-même. Quand un prophète écrit, Isaïe, par exemple, que j’aime tant, il est traversé par un vent d’esprit et d’écriture. Il faut accepter d’être traversé par moments. La poésie et les grands textes nous aident à comprendre ça. Vous comprenez, c’est ça, Dieu. Se ressourcer et accepter le silence de Dieu qui nous confie ce langage : ce n’est pas rien, c’est énorme ! Il ne faut donc pas raconter n’importe quoi sur une scène de théâtre, il faut que ce soit des bons auteurs ; le rôle de l’acteur, c’est d’être un petit pont entre ces textes-là et les gens qui sont dans le public. Et moi, je suis exactement comme les gens qui sont dans le public, quand je ne vais pas bien, quand je suis fatiguée, je vais entendre des grands orateurs, des philosophes, je vais entendre les magnifiques textes de la messe. Job ou l’errance du juste, c’est une très belle pièce. Je vais aller la voir. J’ai beaucoup, beaucoup de tendresse et d’admiration et d’amitié pour Bernard Lanneau qui joue Job. C ‘est un rôle très difficile, vous savez. Ça donne une grande souffrance de jouer ce rôle-là. Et j’irai voir jouer Céline Saie, le Cantique des Cantiques, et mon amie Catherine Salviat. Je suis très honorée d’être avec eux. Très, très honorée.

Propos recueillis par Richard de Seze

Illustration : ©Emvé

Sacrée parole, paroles sacrées

Festival Off Avignon 2024, du 1er au 10 juillet 2024

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