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Le président

Certains esprits chagrins, un tantinet snobinards sur les bords et cuistres véritables, insupportables en leur fatuité à vouloir s’ériger au-dessus du commun accusé d’avoir des goûts simples, ces fâcheux, donc, font profession de dédaigner, à l’instar du héron ou du renard de la fable, des auteurs que la postérité a soigneusement hébergés au panthéon de la culture populaire.

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Le président

Il en est ainsi, parmi moult exemples, d’André Hunebelle, Georges Lautner ou Michel Audiard. Nous revendiquons résolument ce cinéma dont le succès ne s’est jamais démenti, contrairement à de prétendus chefs-d’œuvre défraîchis ayant rapidement viré à l’aigre. Ce n’est guère le cas du Président d’Henri Verneuil, production qui, à elle seule, réunit tous les ingrédients pour faire un excellent film : des dialogues intelligemment ciselés, signés Michel Audiard, des acteurs dûment choisis, une réalisation soignée et rythmée, une bande originale de Maurice Jarre. Nous sommes en 1961 et cela fait à peine trois ans que la nouvelle Constitution de la Ve République a été adoptée. En 1964, Mitterrand fourbira son incisif Coup d’État permanent pour dénoncer, précisément, la pratique autocratique et monarchique d’un pouvoir désormais affranchi des pesanteurs combinatoires d’une IVe République honnie car tortueuse et inefficace. Un esprit pressé pourrait voir le film de Verneuil comme un film de propagande gaullienne. Ce serait, évidemment, se méprendre, Verneuil, immigré arménien beaucoup plus porté sur le prolétariat que sur le bonapartisme, n’ayant nullement ambitionné de faire un quelconque film à charge. À tout le moins apparaît-il comme anti-machiavélien par sa tonalité littéralement déontique. Face à l’éthique inoxydable, quoique un peu roide, de l’ancien président du Conseil Émile Beaufort, suprêmement campé par un Jean Gabin au faîte de sa maturité artistique, le carriérisme de Philippe Chalamont – sous les traits faussement béotiens d’un Bernard Blier déployant un subtil panel de sentiments et d’attitudes –, qui n’a d’égal que son affairisme de connivence dû aux servitudes et solidarités familiales qu’impliquent son mariage avec la fille d’un banquier d’affaires. Le bien commun est mis en balance avec les intérêts privés des spéculateurs et autres prévaricateurs des lobbies industriels et financiers : « Les financiers d’autrefois achetaient des mines à Djelitzer ou à Zoa, ceux d’aujourd’hui ont compris qu’il valait mieux régner à Matignon que dans l’Oubangui et que fabriquer un député coûtait moins cher que de dédommager un roi nègre », harangue, tout en verve, le président du Conseil démissionnaire, dans la scène, devenue « culte », du discours devant la Chambre des députés.

Fixer le prix de la betterave, sans savoir faire pousser des radis

Verneuil et Audiard, qui ont coécrit le scénario adapté du roman éponyme – bien que plus sombre – de Georges Simenon, n’en ont pas moins signé une œuvre devenue intemporelle. 1961-2024, même combat, pourrait-on dire – à cette notable différence que le personnel politique d’antan était, probablement, moins intellectuellement médiocre que nos actuels analphabètes infatués. Sur le plan cinématographique, Verneuil ne se livre guère à de grandes prouesses techniques (bien que la mise en scène soit toujours propre et minutieuse), tant le film est plaisamment porté par les interprètes et un scénario sans temps mort – les flash-back éclairant rétrospectivement le présent (celui d’un opportunisme politique sordide) à la lumière des vilenies, sinon félonies, du passé. La scène de la Chambre est, cependant, remarquable, alternant plans larges, contrechamps, travellings et contreplongées, le tout conférant un souffle dramaturgique qui, exposé autrement, eût été d’une interminable platitude, en dépit de coruscants dialogues et autres bons mots – ils sont d’ailleurs légion et la tirade gabinienne mériterait, à elle seule, d’être enseignée dans les écoles de science politique non wokisées. Clemenceau mâtiné d’Aristide Briand, Gabin/Beaufort est un idéaliste (partisan, ma non troppo, d’une « Europe de la paix et du progrès ») qui demeure néanmoins enraciné (son échange avec son vieil ami Augustin, paysan de son état, vaut le détour lorsque ce dernier lui lance : « Nous sommes gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui seraient seulement pas foutus de faire pousser des radis » ; toute ressemblance avec des faits ayant existé serait purement fortuite… Gabin incarne un vieux lion madré et honnête, vestige d’une noble politique qui a sombré dans la politicaillerie d’un Blier/Chalamont roué et cauteleux, donc nocif et inutile. On ne peut plus actuel.

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