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Le Diable boiteux

Toute la quintessence de Sacha Guitry se trouve là, dans cette pièce de théâtre filmé qui réussit le prodige d’apparaître, nonobstant, comme une œuvre de pur cinéma. Car Guitry se fait cinéaste et non simplement metteur en scène.

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Le Diable boiteux

Du génie, certes, de l’esprit, immanquablement, et aussi une indéniable maîtrise cinématographique qui fait de ce film une succession de tableaux loin de se résumer à un enchaînement d’actes, de scènes, de décors. Lors de sa sortie, en 1948, le film fut assez mal accueilli par une critique revancharde jamais économe de clabauderies, comme pour gommer le souvenir de ses turpitudes dont certains s’évertueraient à occulter l’infamie tout au long d’une Quatrième République que tous aspiraient à ne jamais voir finir. Qu’on en juge à la lecture des propos singulièrement venimeux du journaliste Léon Treich parus dans L’Ordre : « M. Sacha Guitry a eu une étrange idée de faire plaider sa cause par un Talleyrand ! En vérité, M. Guitry, depuis que la justice s’est désintéressée de lui, ne cesse de la narguer en lui démontrant rétrospectivement sa culpabilité. Il faut une impudeur sans nom pour publier ses souvenirs sur les années 40-44 sous ce titre calembouresque : Quatre ans d’occupations, avec un ’’s’’ et une initiale minuscule. Seul M. Sacha Guitry ne l’a pas compris. Et pour cause ! Il faut un cynisme monstrueux pour s’imaginer qu’on puisse se couvrir du précédent de Talleyrand, se cacher dans l’ombre du Prince de Bénévent. Car enfin Talleyrand fut de toute évidence un traître, un traître authentique. […] Il faut enfin une bassesse d’âme sans égale pour oser, à une heure où nous avons tous besoin de hautes leçons, glorifier l’homme le plus amoral, peut-être de notre histoire, et le plus vénal. » Treich, que Céline, dix ans plus tôt, dans L’École des cadavres, avait traité de « juif » membre du « PSF ghetto du colonel de La Rocque », s’efforçait probablement, à sa manière, de faire oublier qu’il fut plumitif à Candide et Gringoire

Une chatoyante pyrotechnie d’esprit authentiquement français

Le fiel d’acrimonie se répandait tant et plus abondamment que, le 23 août 1944, alors que Paris n’était pas encore libéré, ce pauvre Guitry fut convaincu d’« intelligence avec l’ennemi » durant l’Occupation ce qui lui vaudra pas moins de deux mois d’enfermement dans les geôles de Drancy puis de Fresnes. Est-ce sans doute à l’aune de ce douloureux épisode, dont il ressortira marqué, que Guitry évoque son double Talleyrand lorsqu’il écrit en préface de sa truculente pièce éponyme : « il est toujours plaisant de réhabiliter […] un personnage illustre que son temps a vilipendé. » Esthète mondain, entretenant les plus hautes relations avec l’intelligentsia littéraire et artistique du tout-Paris occupé, Guitry n’eut aucun mal à s’approprier tant les subtilités et fulgurances que l’indéniable supériorité intellectuelle de ce personnage hors du commun, qui servit pas moins de six régimes et quatre souverains. Aux dires de Guitry lui-même, le visa film fut refusé par la censure ce qui l’amena à en « tirer » une pièce de théâtre, avant que cette même ombrageuse administration daigne, « sans aucune bonne grâce », lui accorder le précieux sésame permettant sa distribution dans les salles. Au final, les saillies, drôles et spirituelles, caustiques ou alacres, fusent de toute part et l’on sort étourdi et grisé de cette chatoyante pyrotechnie d’esprit authentiquement français : « L’année suivante, un soir, Voltaire le [Talleyrand] bénit – et dès lors tout s’explique » ; « Messieurs, j’ai pris la détermination de vous augmenter à la fin du mois. Vous êtes quatre, vous serez cinq désormais » ; « Trois lettres anonymes. Pas davantage ? On me néglige ! » ; « On ne peut gouverner efficacement qu’au nom d’un principe. Or, Louis XVIII est un principe. Il est le Roi légitime de la France, et tout le reste est une intrigue »… Et le reste à l’avenant, prosodique et rhétorique à souhait. Bien sûr, Guitry n’est pas seul et chaque personnage est littéralement incarné. Emile Drain, l’acteur qui a le plus souvent interprété le rôle de Napoléon Ier au cinéma (dont quatre fois sous la direction de Guitry), est certainement le plus convaincant, avec Robert Dieudonné (le Napoléon d’Abel Gance) et Raymond Pellegrin (le Napoléon, 2e époque de… Sacha Guitry, 1955). Henri Laverne, en Louis XVIII, est criant de vérité. Et l’on a plaisir à revoir Pauline Carton, en malicieuse chiromancienne, bouffon au féminin du Comte de Provence en exil, go-between habile permettant à Talleyrand de rentrer de plain-pied dans la Restauration. Seule, peut-être, Lana Marconi, en Princesse de Bénévent, semble effacée, lointaine et sans aspérité. Au total, un film comme on n’en fait plus : élégant et brillant.

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