Georges Gomes vient de publier un ouvrage consacré à Antonio Sardinha qui nous ouvre les portes de la pensée conservatrice portugaise, en étudiant à la fois la pensée de l’auteur mais aussi ses sources et l’influence de ses thèses sur la politique portugaise.
Sardinha (1897-1925) participe au premier rang au mouvement qui, après 1912, lutte pour le rétablissement au Portugal d’une monarchie traditionnelle et catholique, l’Intégralisme lusitanien. Anti-libéral, anti-Lumières, il souhaite voir s’instaurer une monarchie catholique, décentralisée, appuyée sur le monde rural, et se montre très hostile à la république portugaise, dont il dénonce les liens avec la franc-maçonnerie et les idées importées de la Révolution française. Le traditionalisme de certains des penseurs de l’Intégralisme les conduisit même à se demander si la victoire des empires centraux ne serait pas préférable à celle de la République française lors de la Première guerre mondiale.
On voit immédiatement les liens avec une pensée, sinon directement contre-révolutionnaire, au moins critique de cette Révolution, et Sardinha était un grand lecteur d’auteurs comme Rivarol, Mallet du Pan, Maistre, Bonald, Renan ou Taine. Mais nombre des promoteurs de l’Intégralisme ont visité Paris avant le premier conflit mondial, et ont bien sûr remarqué la place de l’Action française dans la lutte pour le rétablissement de la monarchie dans notre pays. Il y a donc bien une inspiration, limitée cependant par deux éléments : d’une part la volonté des Portugais de se référer à leurs propres penseurs, sans donner à leurs adversaires l’impression d’importer un système tout fait ; d’autre part la place de la religion, plus importante chez eux que dans le mouvement français. L’Intégralisme aura bien un temps l’idée d’une internationale conservatrice, avec l’Action française, mais cela ne fonctionnera pas.
Pour le rétablissement d’une monarchie traditionnelle et catholique au Portugal
Ce que l’Intégralisme lusitanien recherche dans l’Action française, c’est un mode d’action dans la durée : non pas tant celui du militantisme des Camelots – car, contrairement à la France, l’armée est à même de faire au Portugal le fameux « coup de force », et le fera en 1919 – mais le mode d’action qui vise à convaincre les élites et une part de la population, par le journal, par la formation apportée non seulement aux cadres mais aussi à tous les militants, bref par la reconquête du pouvoir culturel, de la nécessité comme de la possibilité de la restauration monarchique.
Ayant dû s’exiler en Espagne à la suite de l’échec du coup d’État de 1919, Sardinha y promeut l’Alliance péninsulaire. À la différence de l’Ibérisme, qui promouvait de fait une mise sous tutelle du Portugal par l’Espagne, il s’agissait ici d’une alliance égalitaire du Portugal et de l’Espagne, mais aussi, au-delà, de ce monde ibérique sud-américain né d’une colonisation dont il s’agissait d’écarter la « légende noire ». Un ibérisme différent cette fois de cette « latinité » défendue par Maurras.
Sardinha meurt en 1925, mais nombre des cadres qu’il a formés ou qu’il a pu influencer, la « deuxième génération » de l’Intégralisme, comme par exemple Marcelo Caetano, vont se retrouver derrière le conservatisme de Salazar. L’ouvrage suit ainsi le passage des théoriciens à une pratique politique et nous rappelle, s’il en était besoin, que le combat des idées est indispensable. Un ouvrage en tout cas important pour comprendre l’évolution de la pensée conservatrice en Europe au XXe siècle.
George Gomes, Antonio Sardinha (1887-1925) et la contre-révolution ibérique. Le penseur et ses héritages. Peter Lang, 2024, 166 p., 37, 40 €