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L’Ange des maudits

Le western est-il condamné à n’être qu’un genre machiste ?

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L’Ange des maudits

La messe semble être définitivement dite depuis la critique de Jean-Louis Bory (contributeur de l’ouvrage de référence supervisé en 1966 par Raymond Bellour, consacré au western et devenu, depuis lors, un classique réédité en 1969 et 1993) affirmant : « ce qu’est la femme dans le western ? Un accessoire. […] Accessoire dont le seul intérêt est de répondre à la demande sommaire d’un public empêtré dans les tabous sexuels et sociaux. […] Le héros de western existe en dehors de la femme. » Assurément, la sentence était aussi sévère et péremptoire qu’injustifiée. Ce serait oublier, en effet, nombre de productions où les femmes occupent une place à part entière dans le western. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons citer Johnny Guitare de Nicholas Ray (1954, avec Joan Crawford), Quarante tueurs de Samuel Fuller (1957, avec Barbara Stanwyck), La Femme qui faillit être lynchée d’Allan Dwan (1953, avec la trop méconnue Audrey Toter), La Reine de la prairie, d’Allan Dwan (1954, avec Barbara Stanwyck), La Femme aux révolvers, du même (1952, avec Jane Russell), Le Fort de la dernière chance de Georges Marshall (1957, avec Kathryn Grant et Hope Emerson) ou encore La Reine des rebelles d’Irving Cummings (1941 avec Gene Tierney). À cette liste convient-il d’ajouter, bien sûr, L’Ange des maudits (Rancho Notorious, 1952), réalisé par Fritz Lang, dont c’était le troisième et ultime western, après Le Retour de Frank James (1940, avec Henry Fonda et Gene Tierney) et Les Pionniers de la Western Union (1941, avec Randolph Scott).

Un clin d’œil à L’Ange bleu de Josef von Sternberg

Le titre français est un clin d’œil à peine appuyé à L’Ange bleu de Josef von Sternberg (1930) ; en Allemagne, le film sera adapté sous le titre L’Ange des pourchassés (Engel der Gejagten). Il y a dans ce film une poésie, sinon une mélancolie, autant portées par Marlène Dietrich, dans le rôle-titre d’Altar Keane, la maîtresse convoitée et inaccessible du ranch « mal famé » baptisé Chuck-a-Luck (surnom donné aux roulettes verticales des saloons de l’Ouest, ainsi qu’à l’héroïne, du temps où elle était saloon-gal, c’est-à-dire chanteuse, mascotte, voire fille de joie), que par l’atmosphère quelque peu étrange, à la fois douce et violente, conviviale et électrique, de ce ranch des « maudits », ces hors-la-loi professionnels, que l’ex-entraîneuse accepte d’abriter contre versement de 10 % de leurs « gains ». Le sujet est âpre, comme souvent chez Lang (encore la vengeance dans Règlement de comptes, violent mais remarquable film noir tourné en 1953, avec Glenn Ford et Gloria Grahame, ou l’alcoolisme et les pulsions incontrôlables dans Désirs humains, réalisé l’année suivante, avec les mêmes). Ici, le vaquero Vern Haskell (Arthur Kennedy) cherche à se venger de la mort et du viol de sa fiancée. Il parvient à se faire intégrer dans l’antre des criminels, en gagnant l’amitié de l’un d’entre eux, Frenchy Fairmont (Mel Ferrer). Dietrich, que l’on avait déjà vue dans un rôle à peu près similaire dans le magistral Femme ou démon de George Marshall (1939, avec James Stewart), campe un personnage ambigu. Bien que légèrement défraîchie, elle joue habilement de son charme enjôleur, tout en affichant sa distance hautaine afin de marquer son autorité face à une troupe d’hommes frustes peu versés dans la probité et la vertu. En même temps, l’on ne peut s’empêcher de penser qu’elle demeure une femme foncièrement fragile et vulnérable. La fin du film le démontre aisément, mais encore la prend-on en flagrant délit de s’amouracher de Vern Haskell, faisant ainsi tomber cette cuirasse qui, jusque-là, lui permettait efficacement de tenir ses hôtes en respect. Devant à Frenchy – devenu son compagnon – de l’avoir sortie des saloons, elle se risque à perdre le confort et la relative sécurité matériels que lui procure son ranch en tombant dans les bras de cet étranger obstiné, qui se révèlera bien plus calculateur qu’elle ne l’aurait soupçonné. Les décors pastel – comme les intérieurs chaudement éclairés – des studios Republic confèrent un aspect crépusculaire à ce scénario bâti comme s’il était directement inspiré du fonds légendaire d’un Far West mythique. D’ailleurs, tel un leitmotiv, la chanson « The Legend of Chuck-a-Luck », interprétée, tout au long du film, par William Lee, tend à accréditer cette idée. Son épilogue s’apparente à une tragédie grecque – ce qui renforce la dimension légendaire de l’histoire. Mel Ferrer et Arthur Kennedy quittent ensemble la demeure, tandis qu’une voix off déclare : « la légende veut que quand Custer tomba, ils avaient péri à ses côtés ».

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