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Lagrasse, une aventure en pays cathare

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Lagrasse, une aventure en pays cathare

C’est au cœur des Corbières, région de l’ancienne hérésie cathare, qu’une très vieille abbaye reprend vie. Voyage à la découverte de Lagrasse et de ses coriaces chanoines.

Quand on parvient à Lagrasse, on est mis en condition. Sur l’autoroute, on aperçoit l’impressionnante cité de Carcassonne entourée de ses fiers remparts, érigés à la demande de saint Louis au XIIIe siècle et restaurés par Viollet-le-Duc six cents ans plus tard. Puis on emprunte la voie des Corbières, antichambre des montagnes pyrénéennes, avec ses petites vallées encaissées, ses versants brûlés par le soleil en été et, partout, ses vieilles bâtisses en pierres jaunies qui respirent l’histoire. Un peu plus loin, ce sont les châteaux cathares, forteresses exceptionnelles qui semblent tout droit sorties des pics rocheux sur lesquelles elles ont été construites. Dans ce beau pays sauvage et séditieux qui a vu surgir l’hérésie cathare vers 1200 ou encore la célèbre révolte fiscale des vignerons en 1907, se trouve un havre de paix : Lagrasse. Comme beaucoup d’autres villages de la région, la commune peut se targuer de protéger des maisons du XIVe et du XVe siècle classées aux Monuments historiques, un vieux pont dont les soubassements datent de 1300 ou encore une halle de marché initialement aménagée en 1315. Mais le village dispose d’un plus unique : une abbaye dynamique qui rayonne sur toute la région.

Partir de zéro

L’abbaye de Lagrasse, c’est 35 chanoines au service de la vie monastique et de l’apostolat. C’est un lieu de retraite et de méditation théologique, mais aussi une zone de production avec ses vergers qui rendent le monastère relativement autosuffisant. C’est une vieille aventure, débutée au VIIIe siècle au moins (voir notre encadré) et relancée en 2004, lorsque les Chanoines réguliers de la Mère de Dieu, qui suivent la règle de saint Augustin, s’installent dans ses murs. à l’époque, l’endroit n’avait plus été habité depuis quinze ans et tout était à refaire. « Il n’y avait pas d’eau courante, les circuits électriques étaient délabrés et les toitures fuyaient », se souvient l’un des habitants de Lagrasse. Animés par la foi et la volonté, les chanoines s’attellent à la tâche mais ils passent leur premier hiver sans chauffage. Leur histoire se répand dans toute la France et les dons affluent. Des entreprises comme Lafarge livrent du ciment à l’abbaye. Contemplatifs et célébrants, les abbés se font aussi ouvriers. Quand les réfections sont trop spécialisées, des entreprises locales sont mandatées. Des bénévoles aident quand ils le peuvent à refaire la vieille toiture en tuiles. L’abbaye reprend vie.

Un département pas content

Dès 2006, le prieuré peut accueillir des retraitants. Et les chanoines peuvent enfin manger au chaud – et en silence – dans l’immense salle de réfectoire, au son de la lecture des Actes des Apôtres, de textes philosophiques du XXe siècle ou de réflexions relevées dans des journaux comme… Politique magazine ! Dans la région, ces premières années sont marquées par le retour d’une population curieuse, qui se prend à apprécier la messe chantée à Lagrasse. L’office public est aujourd’hui assuré tous les jours. Très demandés, les chanoines parcourent le pays, de pèlerinages en vacances « scouts ». On les retrouve avec des familles sur les sables du Mont Saint-Michel ou avec des jeunes catholiques sur les pentes enneigées des Alpes. Tout le monde est content… ou presque. Car la revivification de Lagrasse n’est pas acceptée par des cénacles locaux. « A notre arrivée, nous n’avons pas été très bien vus par certaines autorités », souffle calmement le père Théophane. à la mairie de Lagrasse, on a plutôt tendance à se féliciter de la dynamisation inespérée de la commune. Mais au conseil départemental très socialiste de l’Aude, propriétaire d’une partie des murs depuis décembre 2004, on grince des dents. Et on joue à faire concurrence à l’activité monacale par murs interposés. Inexistant sur les lieux à l’arrivée des chanoines, le département a par la suite entrepris de vastes travaux destinés à recevoir du public pour des visites guidées dans la partie lui appartenant. Il a également installé un « café littéraire » et une librairie au nom évocateur : « Le nom de l’homme ». Dans le pays de la croisade papale contre le catharisme, on cherche aujourd’hui à contrarier les paisibles Chanoines réguliers de la Mère de Dieu… Tout un symbole. Mais la sauce a du mal à prendre. Les jeunes ne se pressent pas aux dites « discussions philosophiques » organisées par le département tandis que les moines n’hésitent pas à faire découvrir le christianisme aux touristes, trop heureux d’apprendre que l’abbaye respire encore. Les chanoines ont décidément la peau dure…

Douze siècles d’histoire
L’histoire de l’abbaye de Lagrasse remonte au moins au VIIIe siècle. Un acte daté de 779, conservé aux archives départementales, en fait mention : Charlemagne accorde à la future abbaye sa protection. Selon la légende, l’empereur aurait voulu donner à des ermites chrétiens vivant dans une grotte alentour un monastère digne de ce nom. En dépit de quelques recherches effectuées par des chanoines en 2006, l’ancien sanctuaire supposé n’a pas été trouvé. Très vite, les dons des seigneurs locaux et de la population donnent à l’abbaye une influence importante. Celle-ci administrera dans le sud languedocien des terres, des villages, des châteaux et des monastères. à l’époque de l’hérésie cathare, qui voit l’émergence d’un mouvement politico-religieux indépendant dans la région, durement réprimé par une croisade réclamée par le Pape, les abbés de Lagrasse servent d’intermédiaire, obtenant par exemple la soumission pacifique de la cité de Carcassonne en 1226. Dans les deux siècles qui suivent, le dynamisme de l’abbaye ne se dément pas, en dépit d’une épidémie de peste qui décime le village en 1348. Au XVIe et XVIIe siècle, on édifie un clocher de 80 mètres de haut et on entreprend la construction du cloître actuel. à la Révolution, l’abbaye est saccagée et les 14 moines encore présents sont chassés des lieux. Elle est alors scindée en deux lots, puis vendue aux enchères en 1796 comme bien national. Cette division demeure encore de nos jours. La partie publique, dynamisée ces dernières années, a été rachetée par le conseil général de l’Aude en décembre 2004 ; auparavant, elle appartenait aux Œuvres sociales des médaillés militaires, qui y ont tenu un orphelinat tout au long du XXe siècle. La partie dévolue à la vie monastique a longtemps été le siège d’une congrégation de religieuses qui se dédiaient aux vieillards, avant d’être inoccupée à partir de 1990. Jusqu’à l’arrivée des Chanoines réguliers de la Mère de Dieu en 2004.

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