Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Ma tante Euphrasie, mère de mon cousin Barnabé, n’a jamais mis les pieds à Paris, quoiqu’elle ait couvert trois-quarts de siècle. Mais elle vient de lire un article sur Paris et plus particulièrement sur les Champs-Élysées, qui l’a enflammée. « C’est, me dit-elle, la plus belle avenue du monde. Elle est bordée de somptueux hôtels particuliers, qui jouissent de jardins où fleurent les lilas et d’autres arbres parfumés. Sur la chaussée paradent des équipages qui exhibent des demi-mondaines, superbes femmes, magnifiquement attifées par leurs protecteurs, des Liane de Pougy, des Odette de Crécy. On peut même admirer Madame de Guermantes, qui n’est pas une demi-mondaine, elle, mais une duchesse tout ce qu’il y a de plus authentique et qui, si vous avez de la chance, jette sur vous le regard fascinant de ses yeux bleus dans sa tête d’oiseau. Entre la chaussée et les hôtels particuliers règnent des jardinets délectables, ornés de charmants édicules où le jeune Marcel pratique des jeux variés avec Gilberte Swann et où sa grand-mère subit sa première attaque… »
Elle allait continuer, mais je la coupai :
– Mais, ma tante, ça, c’était du temps de Marcel Proust et du bon président Fallières. Aujourd’hui, les hôtels particuliers ? détruits. Les édicules où ils se passaient tant de choses ? disparus. Les jardins ? on ne les voit pas. À la place, nous voyons d’immenses trottoirs noirâtres où zigzaguent à fond de train des ahuris en trottinettes électriques, où titubent des touristes mal fagotés, porteurs de petits machins sur lesquels ils posent les pouces. Nous voyons du verre et du béton, des façades lisses, parfois sales, des « abominations rectangulaires » comme disait Baudelaire. Y règne le mercantilisme le plus affreux. Et le boucan, ma tante, le boucan ! Les chiens, qui ont les oreilles si sensibles, hurlent de douleur, lâchent d’effroi des déjections et mêlent leurs voix désespérées aux pétarades commises par des engins motorisés.
– Oh, mon neveu, m’arrête ma tante avec chagrin, tu ne sais pas être sérieux une minute, tu veux toujours rigoler. Tout de même, les journalistes savent ce qu’ils disent quand ils répètent sans arrêt à la télé que c’est la plus belle avenue du monde.
– Taratata, Tata ! Chez eux, les clichés ont la vie dure.
– Oh, s’indigne Tata. Tu es sosot, ma parole !