Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Dans sa gentillesse coutumière, ma tante Euphrasie pensait qu’en politique seulement il y avait des teigneux qui mettaient en doute la vérité officielle. Mon cousin Barnabé, son fils, l’a détrompée : en science aussi (dure d’oreille, elle a d’abord compris « en saucisse »), il y a des teigneux. Elle n’en revenait pas, la pauvre tante ; elle a d’abord cru que Barnabé rigolait ; au bout de trois heures de grand débat familial, elle a fini par admettre que, sous son air taquin, Barnabé croyait un peu à ce qu’il disait. Elle n’en fut que plus horrifiée. Il lui a cité le cas d’une chercheuse dans je ne sais plus quel organisme scientifique célèbre qui avait eu le front de nier non pas l’Évolution (oh la la, tout de même pas !), mais une certaine conception de l’Évolutionnisme, le néo-darwinisme si je me souviens bien ; elle fut immédiatement virée de cet organisme célèbre, privée de son salaire, fustigée, la teigneuse. Autre cas : un type s’est présenté dans une émission télévisée pour nier que le réchauffement climatique soit dû au CO2 et sous-entendre que ce serait peut-être les sautes d’humeur du soleil qui en seraient la cause ; on lui a aboyé dessus, du coup il devint tétanisé, muet comme si un monstrueux molosse allait le déchiqueter. Jadis (ça, c’est une vieille histoire, mais très authentique), quand un étudiant teigneux mettait en doute le freudisme, il n’avait qu’à se rhabiller et aller étudier la psychiatrie ailleurs. Et ce n’est pas fini, on multiplierait les exemples. Déjà, à la fin du XVIe siècle, Montaigne, ce teigneux des temps anciens, dans L’Apologie de Raimon Sebond, osait manifester du scepticisme à l’égard de la science.
Jean Rostand disait qu’il y a ceux qui savent qu’ils croient et ceux qui croient qu’ils savent. Heureusement pour tante Euphrasie, ceux qui croient qu’ils savent sont plus nombreux, plus forts, ils ont seuls le droit de parler, même les sourds les entendent. Ils ont la capacité de faire taire ceux qui savent qu’ils croient. Ce sont des bienfaiteurs de l’humanité ; ils ne laissent pas les gens dans ce qu’il y a de plus douloureux, de plus pénible, de plus effrayant, de plus insupportable : l’indécision, le doute, la réflexion, la terrible indépendance, la solitude. Ils leur apportent de solides certitudes, inébranlables, indiscutables, fondées sur une méthode garantie, éternelles et qui durent au moins vingt-cinq ans.
Illustration : Les rhinogrades, une fantaisie scientifique qui moque les formes pédantes des gens-qui-savent.