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Conditions de la femme

La dévalorisation des métiers féminins et la non-valorisation du travail domestique et même de la procréation sont un désastre. Elles appellent un complet renouvellement de la conception de la famille.

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Conditions de la femme

L’importance de l’évolution de la condition féminine dans nos sociétés continue de soulever bien des interrogations. Non sans motif car la question est loin d’être stabilisée. Le cadre de pensée postmoderne relativiste est ici particulièrement nocif, occultant certains problèmes et en créant d’autres.

Il faut donc reprendre la réflexion sur d’autres bases, dans la ligne de la pensée classique, sans nostalgie déplacée, en prenant en compte des évolutions souvent bénéfiques mais en rappelant des réalités de base. Celles-ci concernent tant la reconnaissance de la spécificité des femmes comme des hommes que les exigences du plein développement de la vie humaine, laquelle suppose des communautés de personnes orientées vers le bien commun et parmi elles, notamment, la famille.

Des constats nouveaux, venant d’horizons divers

En perspective féministe mais dissidente, Véra Nikolski dans Féminicène souligne la rationalité de la division des tâches qui a prévalu des origines de l’homme à la période récente. Elle décrit la situation antérieure comme l’aménagement rationnel de deux différences majeures entre les deux sexes, décisives avant l’émergence de la technique moderne : d’un côté la faiblesse physique relative des femmes, les rendant moins aptes au travail des champs ou à la guerre ; et de l’autre la très forte contrainte de la reproduction, qui était alors une activité quasi permanente vu la mortalité infantile très élevée, et en outre très incapacitante. Ce qui s’ajoute à la troisième différence majeure : celle des goûts et penchants spontanés. Dès lors, pour elle, ce qui explique ce qu’on a appelé l’émancipation des femmes est principalement le progrès technique et le développement économique, car ils ont fortement relativisé l’effet de ces différences. En revanche, elle souligne le faible rôle des “luttes” féministes : la transformation s’est en réalité faite largement toute seule avec fort peu de résistance, dès que la base technique est apparue. Rien à voir avec les déchirures violentes des révolutions, des luttes sociales ou des décolonisations.

Par ailleurs, elle est très pessimiste sur l’évolution de l’économie et de la technique, et proche du collapsisme ; elle en déduit un risque majeur, à terme, pour l’évolution de la condition féminine ; et recommande aux femmes d’aller dans les métiers scientifiques et techniques. Elle reconnaît qu’elles y sont moins portées malgré leur capacité comparable, et cela en dehors d’une supposée influence de la société ; c’est que, dit-elle, les femmes ont un goût pour les relations humaines, pour les personnes plus que pour les objets ; et c’est l’inverse pour les hommes.

Une hégémonie idéologique féminine

Dans un sens analogue, Laetitia Strauch-Bonart (Les hommes sont-ils obsolètes ? Enquête sur la nouvelle inégalité des sexes) analyse en détail et avec chiffres la dégradation relative de la place des hommes, notamment aux niveaux sociaux moyens et inférieurs. Relevant elle aussi la préférence relative des hommes pour les sciences et techniques et des femmes pour les métiers littéraires, juridiques et médicaux (même quand elles sont meilleures en sciences), elle le relie elle aussi au fait que les hommes préfèrent l’étude des choses, les femmes celle des personnes. De plus, les hommes étant plus tournés vers la compétition, les femmes, plus tournées vers la coopération, se battent moins pour le sommet de la hiérarchie. En outre, comme on sait, bien des femmes préfèrent réellement la famille ou les enfants et y investissent spontanément plus de temps que les hommes, même si, dit-elle, l’espèce humaine est une des rares où il y a un certain intérêt des mâles pour les enfants. Ce choix, dit-elle, elles le font librement, mais la société ne le reconnaît pas ; elle considère les métiers féminins comme inférieurs parce que moins rémunérés (sage-femmes, juges, psychologues) et exige la parité partout. Ce qui revient à exiger des femmes l’adoption de mœurs masculines.

Véra Nikolski s’appuie notamment sur un gros livre du prolifique Emmanuel Todd (Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes). Outre des analyses analogues à celles évoquées, ce dernier estime par ailleurs et de façon générale qu’il y a une hégémonie idéologique féminine dans nos sociétés, avec des effets dans de nombreux domaines. Ainsi, selon lui, la femme ayant depuis les origines une orientation plus tournée vers les rapports interindividuels et la famille, et l’homme plus vers la société et les identifications collectives, les évolutions récentes vers l’individualisme se ressentent de l’influence de celles-là ; il « pose donc l’effondrement des croyances collectives et l’épanouissement du néolibéralisme comme liés à l’émancipation des femmes ». Selon lui, il y a même une forme de « matridominance » idéologique dans les classes moyennes ; mais comme les hommes (certains du moins) gardent le pouvoir économique et technique, « une petite bourgeoisie féminine conteste une classe moyenne supérieure masculine ». Dans un contexte de déclin économique et de blocage de la mobilité sociale ascendante, cela se traduit par la colère féministe ambiante.

« Plus les femmes ont avancé, plus l’industrie a reculé. »

Il note la dominante féminine et féministe dans tous les champs importants idéologiquement : lettres, anthropologie, sociologie et même récemment géographie, sciences politiques ou philosophie. Ce qui conduirait à une pensée de l’interindividuel plus que du collectif. Ce qui expliquerait aussi que l’individualisme s’accompagne du politiquement correct, expression de la forme d’autorité spécifique aux femmes. Cette même prédominance expliquerait selon lui l’acceptation de l’homosexualité, les femmes l’acceptant en général mieux. Ou celle des transsexuels, qu’il voit comme trouble identitaire : or, dit-il, l’identité est une question de rapport au collectif, et avec le recul des religions, la quête identitaire a mué en une « autodestruction active de toute identité ». Mais ce n’est pas un pur nihilisme, car cela se veut bienveillant, selon une caractéristique féminine.

En économie, le fait central pour lui est la tertiarisation des sociétés occidentales, qui a permis un emploi féminin massif, mais a supposé le transfert de l’industrie, qui est plus masculine, vers des pays de culture différente : « plus les femmes ont avancé, plus l’industrie a reculé ». Certes, au niveau mondial, l’industrie a progressé. Mais c’est pour lui dû aux pays patrilinéaires qui vont de la Chine à l’est de l’Europe (Allemagne compris) et au monde indo-musulman. La spécialisation économique aurait donc permis à chaque bloc de « mieux réaliser leur tendance anthropologique profonde ». D’où une double fragilité : celle des pays matricentrés, désindustrialisés et donc plus vulnérables, et aussi celle des autres, dont la faiblesse est la reproduction, du fait d’une fécondité très basse – car selon lui il y a corrélation entre le statut supérieur des femmes et la fécondité, même s’il reconnaît qu’elle faiblit.

Il note enfin que ce qui est en soi une faiblesse relative des hommes (le fait de ne pas porter les enfants) aboutit à ce qu’ils continuent de se concentrer sur la réussite professionnelle. Situation qui est très différente pour les femmes ; leurs choix de vie deviennent en effet plus anxiogènes : il y a le métier, mais la procréation reste une option. Le dilemme est particulièrement fort entre 25 et 35 ans ; mais, dit-il, les hommes et la société n’y sont pour rien.

La question de l’influence sur la pensée collective

Ces analyses soulèvent deux séries de questions : l’une porte sur l’influence du rôle nouveau des femmes sur la vie publique ; l’autre sur la place effective des femmes dans la société. Moindre conscience des exigences de la vie collective et recentrement sur la vie privée individualiste, prédominance de la compassion sur la rigueur ou sur la prise de risque, émergence croissante d’une masculinité sauvage dans les couches les moins intégrées, tolérance envers des modes de vie plus ou moins aberrants, acceptation de fait passive des migrations, etc. : voilà certes des tendances indéniables de nos sociétés, mais le lien présumé avec le rôle des femmes reste indirect et pas entièrement démontré. Quoi qu’il en soit, le fait de poser la question est utile : on prend alors conscience du fait que, comme le rôle du père et celui de la mère, les deux séries de dimensions qu’ils expriment ou symbolisent sont tous deux importants, mais qu’il importe que chacun soit à sa juste place.

Mais il est surtout important de souligner que ce que nos auteurs voient comme une forme d’hégémonie féminine relative est très fortement coloré, notamment dans l’idéologie féministe courante, par l’idéologie dominante, postmoderne et relativiste, dont les racines sont profondes et anciennes, et qui n’est pas spécifiquement féminine.  Cela dit, la question posée ne manque pas de conduire à réfléchir sur certaines évolutions professionnelles en cours : est-il bon par exemple que les juges soient pour l’essentiel des femmes, et de plus en plus les enseignants ou les médecins ? Quel risque court-on dans la marginalisation de professions essentielles et à dominante culturelle masculine comme l’armée et même l’industrie ? Etc.

Le besoin d’une réflexion renouvelée sur la place des femmes dans la vie commune

Le fait est que l’évolution de la société, et le discours féministe qui domine, sont tournés vers la seule femme au travail et, dans cette perspective, l’élimination des supposées « discriminations ». Mais cela élimine la possibilité d’un travail au foyer, sauf de façon sporadique après la naissance ; le féminisme a d’ailleurs visé notamment à “libérer” la femme du travail domestique. Tout ceci résulte d’une tendance foncièrement individualiste : on ne regarde que travail et pouvoir, et dans cette optique, avoir des enfants devient un handicap pour la femme. L’homme reste en réalité le modèle pour tout : devenir enceinte est pour une femme un obstacle à la pleine égalité. Et de façon symptomatique, notre société est la seule qui n’a pas de discours sur la maternité.

Pourtant, comme on sait, et comme le répète depuis ses origines la pensée classique, la famille est la cellule fondamentale de la société, encore avant le travail. Mettre au monde des enfants et les élever est essentiel et vital, au niveau des personnes et à celui de la société ; et si l’équilibre ancien, préindustriel, est évidemment dépassé, il subsiste des facteurs majeurs de différenciation entre les sexes et leurs aspirations, ainsi que des fonctions à assumer de part et d’autre. Comment peut-on alors analyser ces questions dans la perspective de la pensée classique, et notamment de la loi naturelle ? La question de la femme me paraît être un bon exemple de la flexibilité de l’idée de loi naturelle : les principes sont invariants, mais les situations changent ; et au cours de l’histoire, de nouvelles questions et donc angles de vision apparaissent.

La contrainte de la force physique

Comme on l’a vu, les différences entre hommes et femmes sont de trois types. Ce sont d’abord des différences physiques majeures et en soi incontournables comme la force physique et le rôle dans la reproduction. De ce fait, dans la situation antérieure, la morale naturelle et donc la loi naturelle étaient conduites à recommander aux femmes une très forte priorité à l’aspect reproduction, et à laisser aux hommes les activités physiques lourdes et le combat. C’est bien moins vrai aujourd’hui, ce qui permet aux femmes d’envisager d’assumer toute une gamme d’activités. Cela dit, il reste quelques contraintes, comme la force physique dans certains cas (voir l’exemple du sport, où les deux sexes sont séparés, mais où tous deux pratiquent). Et surtout la reproduction et l’éducation, même si la contrainte est bien moindre qu’autrefois. Il y a ensuite des prédispositions relatives, moins immédiatement évidentes et moins rédhibitoires, mais qui peuvent impliquer des dominantes, ainsi par exemple la combativité frontale, plus grande sans doute chez les hommes, mais possible chez les femmes. Il y a enfin les goûts et tendances, certes en partie conditionnés socialement, mais qui existent aussi en soi, et de façon différenciée : les femmes plus portées sur la relation avec des personnes, et les hommes avec les choses, donc les femmes plus sur le soin, et les hommes plus ingénieurs. Cela ne veut pas dire une plus grande capacité de l’un ou de l’autre, mais un goût, et souvent une vocation.

Dans ce contexte, la loi naturelle va considérer simultanément l’épanouissement des personnes et les exigences de la vie en société. Ce qui ne débouche pas nécessairement sur des automatismes : le goût plus grand des femmes pour le soin a évidemment tout son sens socialement, mais cela n’empêche pas que certaines femmes investissent des métiers qui ne sont pas dans cette tendance spontanée de la majorité d’entre elles. Inversement, le rôle plus grand et l’influence à l’occasion prépondérante des femmes signifie sans doute pour elles une augmentation des possibilités ; mais pas automatiquement une amélioration, ni pour elles ni pour la société, et en tout cas pas dans tous les domaines. On le voit aujourd’hui avec la situation des nombreuses femmes seules élevant leurs enfants, et plus encore celles de milieu modeste, qui sont particulièrement défavorisées. Ni une meilleure satisfaction de leurs préférences, loin de là, comme le montre la moindre valorisation de métiers dits féminins, et surtout l’absence totale de valorisation du travail domestique et dans une large mesure de la procréation.

Le rôle socialement décisif du travail domestique

Or ces derniers points sont évidemment décisifs. La tendance croissante à ramener le rôle de la parentalité à un choix personnel de consommation parmi d’autres, avec les partenaires de son choix, est collectivement désastreuse tant pour les générations futures et donc la survie de la société que pour une éducation appropriée des enfants. Elle est d’ailleurs aussi particulièrement négative pour les femmes qui, dans la réalité, portent le poids d’une part appréciable des effets de cette dérive, comme elles souffrent plus de la résurgence de l’insécurité et d’une violence masculine sauvage. La restauration d’une autre conception de la famille, communauté dans laquelle on s’engage pour la vie, est ici cruciale, comme celle d’une autorité qui ne se confonde pas avec la compassion.

Dans cette recherche d’un équilibre différent, deux présupposés de l’époque (médias et intellos notamment) conduisent à des impasses. L’un est l’idée que les deux sexes sont indifférenciés (mêmes goûts et mêmes aptitudes), ce qui conduit à poser normativement et sottement qu’ils doivent être représentés tous deux à part égale dans tous les métiers. L’autre est la mise en position normative de l’individualisme, ce qui conduit à occulter les exigences de la vie communautaire et notamment celles de la famille, pour réduire celle-ci à un contrat de cohabitation, et à faire l’impasse sur le rôle socialement décisif du travail domestique (j’ai évoqué ce dernier sujet plus en détails par ailleurs).

Une telle réflexion est une tâche majeure, et notamment pour ceux qui sont attachés aux enseignements de la pensée classique, au bien commun, et donc à l’épanouissement de tous au sein de nos communautés. Elle vise l’action des pouvoirs publics mais surtout celle de tous, y compris les employeurs et les entreprises – et tout particulièrement en faveur des jeunes femmes entre 25 et 35 ans. Elle porte à la fois sur les représentations collectives et les valeurs reconnues par la société ; sur l’organisation du travail et des carrières ; et sur les circuits d’argent. Vaste chantier…

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