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Benoît XV, l’incompris [PM]

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Quand, au début de la Première Guerre mondiale, il succède à Pie X, le 3 septembre 1914, Giacomo della Chiesa, cardinal archevêque de Bologne, ne se doute pas qu’il sera bientôt honni de tous les belligérants. Un siècle après, l’image du « pape boche » ou du « pape français », tout dépend de quel côté du Rhin l’on se situe, n’a pas disparu. Une biographie et un essai viennent pourtant rendre justice à ses efforts.

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Yves Chiron est un bon connaisseur de la papauté. Rien d’étonnant à ce qu’il ajoute un Benoît XV, le pape de la paix, à son œuvre. L’on retrouve, dans cet ouvrage concis, ses qualités habituelles : l’art de présenter sérieusement, sans porter de jugement ni aventurer d’analyse, le déroulement des faits, et rien d’autre. Cela suffit à peintre un portrait circonstancié et dresser le bilan d’un règne.

Pourquoi, en un moment de crise aiguë comme cette fin d’été 1914, les suffrages du conclave se sont-ils portés, au dixième scrutin, sur Mgr della Chiesa, créé cardinal à peine trois mois plus tôt, Pie X ayant longuement différé de lui donner le chapeau allant avec le siège bolonais ?

La question reste ouverte. L’opinion générale que l’on se faisait de lui, à la Curie, où il avait travaillé plus de vingt ans à la secrétairerie d’État, n’était pas bonne : « un bureaucrate, un mediocris homo… » ; de surcroît candidat de l’Autriche, non parce qu’on lui prêtait des sympathies particulières envers l’Empire austro-hongrois mais parce que, héritier d’une grande famille de l’aristocratie génoise, on le croyait à Vienne moins susceptible de faire le jeu des républiques. Soupçonné d’être moins intransigeant qu’il l’eût fallu vis-à-vis du modernisme, plus proche de Léon XIII que de Pie X, Giacomo della Chiesa ne figurait pas sur la liste des papabili.

Un médiateur naturel
Cependant, il fallait écarter d’autres candidats, modernistes ou trop réactionnaires, à l’instar du cardinal Merry del Val, francophiles ou germanophiles. Face à tout cela, « la médiocrité », qui est aussi l’art du juste milieu, de l’archevêque de Bologne rassura. Et puis c’était un diplomate de carrière, issu de l’Académie des nobles ecclésiastiques qui formait les futurs nonces et leurs adjoints. Dans le contexte du moment, certains électeurs pensèrent que le nouveau pape jouirait d’un entregent précieux. C’était mal estimer la gravité des événements, plus encore la situation réelle de la papauté sur la scène internationale.

D’emblée, ce fut pour avoir tenté de jouer un rôle dans le conflit et voulu s’y imposer en médiateur naturel que Benoît XV – nom choisi afin de rendre hommage à Benoît XIV, dernier archevêque de Bologne monté sur le trône de Saint Pierre – fit contre lui l’unanimité des belligérants.

Avec cent ans de recul, l’essentiel des passions apaisées, la violence des réactions, le déchaînement de la presse et des autorités à l’encontre d’un homme qui voulut, simplement, faire entendre la voix de l’Église, c’est-à-dire celle de la raison, de la charité et de la compassion, à un monde devenu fou, laissent rêveur.

Pourtant, à y regarder de plus près, ces attaques s’inscrivaient dans une continuité et une logique qui visaient, précisément, après avoir annexé les États pontificaux et détruit le pouvoir temporel de la papauté, à l’empêcher de retrouver, dans le domaine moral, une influence et un pouvoir plus dangereux peut-être, maintenant que Rome se trouvait libérée des contraintes matérielles, que précédemment.

Dans ce jeu, l’Italie, qui se refusait au règlement, toujours pendant depuis le règne de Pie IX, de la « question romaine », et à toute restitution de territoires, fut la plus acharnée, suivie de près par le gouvernement français. Plus surprenante, à coup sûr, fut l’attitude des catholiques, et même du clergé.

Le refus de prendre parti
Tout commence avec l’invasion de la Belgique et la violation de sa neutralité, suivies de représailles brutales, dont on sait aujourd’hui qu’elles ne furent pas inventées par la propagande alliée, contre un peuple qui a osé résister à l’avance allemande. Le scandale est tel que, lors du conclave, une partie des voix se porte, symboliquement, dans un premier temps, sur l’archevêque de Malines, le cardinal Mercier, primat de Belgique. Suivent les bombardements de Reims, la destruction partielle de la cathédrale des sacres.

En Belgique, les Allemands ont fusillé ou déporté des prêtres, en Champagne, ils s’en prennent aux sanctuaires. Ces agissements ne peuvent appeler qu’une condamnation solennelle de la part de Rome. Cette condamnation ne viendra jamais, du moins pas dans les termes accusateurs qu’espéraient la presse, l’opinion publique et les gouvernements.

Comment s’en étonner ? Ainsi qu’il ne cessera de le répéter, Benoît XV compte ses fils dans les deux camps ; il se refuse à prendre parti en faveur des uns contre les autres, à désigner des coupables alors que, selon sa propre analyse des faits, la guerre est un châtiment divin pour les péchés de toutes les nations engagées dans le conflit, vision surnaturelle de l’histoire à laquelle des gouvernements laïcs et souvent athées ne sauraient, bien entendu, adhérer.

Par ailleurs, le diplomate chevronné qu’il est sait aussi que seule cette neutralité peut lui permettre de négocier, dans l’ombre, d’admonester, en privé, et, de temps en temps, d’éviter le pire… Reste que ces efforts, pour être efficaces, doivent demeurer secrets. Cela, seule l’Action française le comprend. À l’heure où les journalistes, et même la presse diocésaine, en pleine fièvre nationaliste n’ont pas de mots assez durs pour stigmatiser l’attitude du « pape boche », de « Pilate XV » selon le mot de Léon Bloy, Maurras et ses amis sont les seuls, parce qu’ils n’ont plus rien à prouver en fait de patriotisme, à défendre fermement l’attitude du souverain pontife.

Chiron met clairement en évidence le déroulé de ces événements, et les résultats obtenus. Peu spectaculaires. Sur la scène internationale, personne ne veut entendre le discours de Benoît XV. Accusé de pacifisme, autant dire de trahison bien qu’il se situe au-dessus de la mêlée, le pape doit être calomnié pour, surtout, ne plus jamais être en mesure d’interférer dans les affaires de ce monde.

Une nouvelle légitimité
Contre toute attente, malgré l’échec apparent de sa politique, ce sera le contraire qui se produira. Écartée des événements de la guerre, et des conférences de paix, en dépit de ses avertissements dénonçant « une nouvelle carte de l’Europe dont il faudra bien admettre un jour qu’elle fut dessinée par un fou », la papauté, en 1919, émerge du conflit riche d’une légitimité neuve.

En silence, elle a fait beaucoup de bien, soulagé d’innombrables détresses, acquis la reconnaissance de tous les malheureux, de quelque camp qu’ils fussent. Dès avant les accords de Latran, signés dix ans plus tard par Mussolini, l’après-guerre marque le retour en force du Vatican parmi les grandes puissances avec lesquelles il faut compter et transiger. Cela ne va pas, au demeurant, sans des heurts et des erreurs d’appréciation.

Marcel Launay, dans un essai intelligent, Benoît XV, un pape pour la paix, en souligne quelques-uns, peut-être plus troublants de nos jours qu’à l’époque. Telle l’obstination de Rome à favoriser, s’agissant de Constantinople, les intérêts du sultan, autrement dit ceux de l’Islam, au détriment de la Russie tsariste, un moment sur le point, croit-on, de s’emparer de la ville.

Plutôt laisser Sainte-Sophie transformée en mosquée que la rendre au culte orthodoxe… Même aveuglement s’agissant de la révolution bolchevique, regardée un temps comme une chance pour le catholicisme à l’Est … Les inquiétudes de Benoît XV concernant l’instabilité que provoquerait l’établissement d’un « foyer juif » en Terre sainte sont plus prémonitoires.

Cependant, et c’est l’intérêt du livre de Launay, Benoît XV ne fut pas qu’un diplomate. Sa gestion des affaires de l’Église, notamment sa vision de l’avenir des chrétientés de mission, fut sans éclat mais porteuse de promesses depuis réalisées.

C’est ce qu’il faut conserver d’un pontificat interrompu brusquement, le 22 janvier 1922, lorsqu’une mauvaise grippe emporte un pape de soixante-huit ans à peine. Et qui valait bien mieux que sa réputation.

A lire :
Benoît XV, le pape de la paix, d’Yves Chiron, Perrin, 380 p., 22.90 euros.
Benoît XV, un pape pour la paix, de Marcel Launay, Le Cerf, 280 p., 18 euros.

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