Civilisation

L’Ange des maudits
Le western est-il condamné à n’être qu’un genre machiste ?
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Avec ce film, Orson Welles, opérait son grand retour à Hollywood après dix ans d’absence en Europe. Si les studios ne lui accordèrent pas, par la suite, tout l’intérêt qu’il espérait, il signait néanmoins une œuvre majeure du polar noir.
Si les studios ne lui accordèrent pas, par la suite, tout l’intérêt qu’il espérait, il signait néanmoins une œuvre majeure du polar noir. À la vision, le film ne ressemble guère à la version initiale. Après un premier montage contesté par Universal, les patrons du studio chargèrent Harry Keller, honnête artisan de westerns de séries B (La Journée des violents, Les Sept Chemins du couchant, Six Chevaux dans la plaine), de tourner quelques scènes additives. Le film fut, néanmoins, remanié au montage, ce qui conduira Welles à laisser un mémoire de près de soixante pages marquant son désaccord tout en indiquant les pistes à suivre afin d’éviter la dénaturation de son œuvre. Quarante ans après le tournage du film, l’Universal finira par accepter de remonter le film à partir d’une copie du deuxième montage opportunément retrouvé dans les archives. Le résultat est tout simplement magistral. Le savoir-faire de Welles confine quasiment à la perfection et l’on prend une inoubliable leçon de cinéma qui invite à revoir plusieurs fois le film et à le décortiquer plan par plan. Rappelons, pour s’en convaincre, le fameux plan-séquence sur grue du début, qui a acquis une valeur de manifeste artistique : le couple fraîchement marié, joué par Janet Leigh (L’Appât, Scaramouche, Psychose, Les Vikings) et Charlton Heston, suit une voiture piégée, occupée par un autre couple, traversant la frontière américano-mexicaine, jusqu’à ce que cette dernière explose, le tout sur fond de mambo entrainant (partitionné par un Henry Mancini au mieux de sa forme [L’Etrange créature du Lac noir, Diamants sur canapé, Hatari !, La Panthère rose]), avec effet de travelling arrière en plongée, profondeur de champ et grand angle. Welles n’avait plus rien à prouver depuis son inégalable Citizen Kane (1941), sans oublier La Splendeur des Amberson (1942, avec Joseph Cotten), Le Criminel (1946, avec Edward G. Robinson et Loretta Young)), La Dame de Shanghaï (1948, avec Rita Hayworth) ou Mr Arkadin (1955).
Mais ce cinéaste, de la trempe de Griffith, Lang, Hitchcock ou Kubrick, n’avait pas pour réputation de vivre sur ses acquis et concevait chacun de ses films comme le premier. C’est Charlton Heston, lui-même (Quand la Marabunta gronde, Ben-Hur, Le Cid, Major Dundee), fraîchement auréolé de son succès des Dix Commandements de Cecil B. De Mille, deux années auparavant, qui suggèrera, en souvenir de Citizen Kane dont il était un admirateur inconditionnel, de confier la réalisation du film à Welles. Celui-ci se sacrifia littéralement en composant le personnage assez ignoble de l’enquêteur US, Hans Quinlan. Très shakespearien (une des références constantes de l’acteur-réalisateur, tout au long de sa filmographie, jusqu’à son mémorable Falstaff [1966]) dans l’interprétation, il incarne un personnage adipeux, retors et corrompu, au traits fatigués mais au regard perçant. Loin d’être simplement une performance artistique et technique, The Touch of Evil (titre original, certainement plus évocateur, adapté du roman de Whit Masterson, The Badge of Evil [1956]) offre à Welles l’occasion supplémentaire d’une véritable performance d’acteur. Charlton Heston paraît, par contraste, un tantinet plus effacé dans le rôle de Mike Vargas, son homologue à l’intégrité sans faille, dont on pressent la carrière prometteuse. Quant à Janet Leigh, en dépit de l’affiche du film qui la présentait dans un torride déshabillé, elle se borne à jouer la victime droguée (et sans doute violée) d’une bande de loubards
Charlton Heston (L) and Orson Wells in a scene from the 1958 crime thriller directed by Orson Wells. USA – 1958
à la solde du caïd local, dont l’un des neveux a été arrêté par Vargas. On appréciera l’usage des plans inclinés symbolisant l’instabilité d’un monde perclus d’ignominies, de turpitudes, de vices et d’hypocrisies : la frontière, aux encablures de laquelle se situe l’action, évoque un no man’s land sombre et glauque dont l’empire se partage entre la pègre locale et une police plus ou moins pourrie ; la scène finale, où le peu recommandable policier trouve la mort, sous les yeux vaporeux d’une Marlène Dietrich en diseuse de bonne aventure inattendue, dépositaire de tous les plus inavouables secrets de son ancien amant, accentue l’atmosphère oppressante de ces lieux de malheur. À voir, revoir et disséquer sans modération.