Quand je badaude dans mon village et même en ville, je cède souvent à mon péché mignon, qui est de regarder attentivement les boîtes aux lettres afin d’y lire le nom du propriétaire de la boîte. Je constate que désormais des tas de gens portent le nom de Pas de Publicité ou de Pas de Pub. Voilà deux familles, qui n’en font peut-être qu’une, la légère différence de noms devant s’expliquer par la déficience d’un secrétaire de mairie peu lettré, deux familles singulièrement prolifiques, apparemment aristocratiques si on en croit la particule. Un généalogiste étymologiste très averti me dit qu’elles ont acquis leurs patronymes pour s’être signalées dans leur résistance à un envahisseur, d’abord nommé Réclame, puis Publicité, puis Pub. La famille Pas de Réclame, si elle a jamais existé, s’est éteinte.
J’ai réfléchi à la question. Certes, la Publicité est envahissante. Elle consomme un volume incroyable de papiers et détruit des forêts bien plus vite qu’une maladie, qui, ces temps-ci, paraît-il, s’attaque aux frênes. Même les associations caritatives, qui devraient être avares de l’argent qu’elles récoltent pour les pauvres, les malades ou les handicapés, s’y mettent. La même m’envoie chaque année dix prospectus à plusieurs feuillets et demandeurs de fonds, des timbres à mon nom à coller sur le derrière de mes enveloppes, d’épais journaux relatant ses activités et, en sus, un stylobille qui marche une fois sur deux. De deux choses l’une : ou bien les tyrans qui dirigent l’invasion publicitaire sont des idiots ou bien ils savent ce qu’ils font. Après tout, il est bien possible que les Français, les Européens, les Mondiaux, même les nombreux membres des familles Pas de Publicité et Pas de Pub, dont la noblesse est douteuse, sont des matamores. Ils proclament : « Halte là ! » à l’envahisseur et le laissent insidieusement entrer. Même coup avec la Propagande. Les matamores disent, en se tordant la moustache et en roulant des yeux furibonds : « Je ne regarde pas la télé. Je me bouche les oreilles quand on me bourre le crâne ». Et dans mon patois, ils ajoutent : « C’est tertous des minteux ». Mais les « mintiries » leur entrent quand même par on ne sait où. Ils achètent, ils votent comme on leur dit de le faire. Il est des jours où on se demande si un esprit libre n’est pas aussi rare qu’un dromadaire assoiffé, tout seul, en plein Antarctique.