Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

France & États-Unis : vrais alliés, faux amis ?

De Louis XVI à Chirac, les États-Unis n’ont en fait jamais soutenu la puissance française ni apprécié son indépendance. Ni amis, ni alliés, les deux pays sont en tension permanente.

Facebook Twitter Email Imprimer

France & États-Unis : vrais alliés, faux amis ?

(AP Photo/Laurent Rebours) /FRANCE G8 FOREIGN MINISTERS/0305231532/FRANCE G8 FOREIGN MINISTERS/0305231532

L’histoire des relations entre la France et les États-Unis n’est pas un long fleuve tranquille. Côté rue, la France est créditée d’avoir aider les insurgés pendant la Guerre d’indépendance, et on ne tarit pas d’éloges réciproques sur fond de valeurs supposées communes. Mais côté cour, c’est souvent tendu. En effet, les Américains oscillent entre un soutien à l’« ami » français, un dédain et une volonté farouche d’évincer un concurrent. À bien des reprises, les relations ont été marquées par des coups fourrés. Un peu à l’image de la « quasi-guerre », ce conflit larvé entre Paris et Washington, qui se déroula entre 1798 et 1800 à la suite de l’abrogation des traités bilatéraux signés avec la France. Il est vrai que le jeune État, qui prétextait le remplacement de l’Ancien régime par la France révolutionnaire pour ne pas honorer sa dette née de la Guerre d’indépendance, s’était aussi rapproché du Royaume-Uni et reprochait aux Français l’abolition de l’esclavage…

L’entrée tardive de Washington dans la Grande guerre

Le déclenchement de la Première guerre mondiale en 1914 n’a peut-être pas laissé sensible outre-Atlantique. Mais l’engagement américain a été tardif et n’intervient qu’en 1917. Certes, il a joué un rôle dans l’évolution du rapport de forces : les occidentaux se retrouvèrent avec davantage de soldats, ce qui fit donc peser le balancier, même si d’autres éléments y contribuèrent à l’instar du blocus qui rendit l’Allemagne à bout de souffle. Ses dernières offensives qui s’étendirent jusqu’en juillet 1918 furent le chant du cygne : elle s’essouffla pour finalement demander un armistice. Les empires centraux n’avaient pas de système d’alliance étoffé, ce qui perdit, par exemple, l’empire austro-hongrois, dont la fragilité avait été aussi de ne pas connaître la transformation de l’empire en État-nation : l’armistice conduisit à son démantèlement dans le sillage du mouvement des nationalités. Avant de prendre pied sur le sol européen, les Américains ont hésité à s’engager. En 1915 et en 1916, ils prônent une paix équitable, qui aurait ainsi sacrifié les revendications de la France sur l’Alsace et la Lorraine. Même les quatorze points de Wilson sont dans cette veine. Il fallut les ardeurs de la France pour que ses points de vue tendant à limiter le rôle de l’Allemagne soient reconnus au traité de Versailles. La période de l’entre-deux-guerres fut ambigüe : outre leur isolationnisme, les Américains ne sont pas désireux d’affaiblir l’Allemagne. Ils ne veulent pas faire payer Berlin par crainte – déjà – de la révolution bolchévique. La France sera isolée, ne pouvant compter sur un Royaume-Uni qui joue sa propre carte. Si Roosevelt a été inquiet de l’avènement d’Hitler, les États-Unis ont été cavaliers vis-à-vis du réarmement allemand et s’engagent dans une politique de neutralité. C’est en vain que Paul Raynaud, président du Conseil d’une France qui s’écroule face aux panzers allemands, demande en juin 1940 une intervention américaine. Les États-Unis ne veulent pas s’engager en Europe : de toutes façons, l’opinion publique ne suivrait pas.

De Gaulle-Roosevelt : je t’aime, moi non plus

La défaite de 1940 ne rend pas les Américains indulgents à l’égard de ceux qui veulent poursuivre le combat en France. La naissance de la France libre à Londres, sous la houlette du général de Gaulle, est accueillie avec dédain, Roosevelt préférant même nommer un ambassadeur à Vichy, l’amiral Leahy, qui reste dans la capitale de l’État français jusqu’en février 1942. En paraphrasant le cardinal Gerlier, pour les Américains, Pétain, c’est la France… Il faut attendre les contrecoups de Pearl Harbour pour que les États-Unis finissent par reconnaître le chef de la France libre, qu’ils continueront à percevoir comme un apprenti-dictateur… Les relations franco-américaines seront ainsi ponctuées de tensions. Si Roosevelt se méfie de De Gaulle, le Secrétaire d’État, Cordell Hull, nourrit une aversion encore plus vive pour le Général. L’un des pères du système international né en 1945 a été l’un des plus vifs contempteurs du chef de la France libre. Quand ils débarquent en Algérie en novembre 1942, les Américains vont s’appuyer sur Darlan, puis sur Giraud. Le « vichysme sous protectorat américain » – c’est ainsi que l’on avait qualifié la situation du général Giraud en Afrique du Nord – leur paraît préférable à un de Gaulle qu’ils jugent imprévisible et surtout retors. Mais la libération de la France ne doit pas déboucher sur une autonomie complète : dans leurs plans, les Américains avaient envisagé de placer administrativement la France sous le contrôle de l’AMGOT pour laquelle des billets de banque avaient été imprimés. En 1964, le général de Gaulle aura des mots cinglants à l’égard de ceux qui souhaitaient commémorer le débarquement en Normandie de juin 1944 : pour le président français, cette opération militaire s’est décidée sans la France, mise à l’écart des préparatifs. On est loin des hommages béats à l’Oncle Sam… Les relations avec Eisenhower sont un peu meilleures : le chef du commandement allié permettra par exemple à l’Armée française de ne pas quitter l’Alsace quand les Allemands lancent une ultime offensive dans les Ardennes en décembre 1944. Il faut attendre la mort prématurée du président américain avant la fin de la guerre pour attendre un hommage du général de Gaulle. Mais au fur et à mesure que l’on se rapproche de la fin de la guerre, les Français sont royalement snobés : s’ils sont à Berlin pour recueillir la capitulation sans conditions de l’Allemagne, ils ne sont ni à Yalta en février 1945, ni à Postdam en juillet 1945. La France est une puissance mineure et pas question de lui laisser jouer un grand rôle dans la guerre et à son issue.

Les ambiguïtés de la Guerre froide

La France est exsangue à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les Américains ont juste envie de quitter le continent européen. Mais la crainte de l’expansion du communisme en Europe et la volonté de containment poussent, bon gré, mal gré, les États-Unis à appuyer la France. Il n’est pas question qu’un pays fragile quitte définitivement l’orbite du « monde libre ». Les Américains lancent alors le Plan Marshall et l’OTAN est mise en place en 1949. Cette alliance militaire est censée concrétiser la légitime défense prévue par la Charte des Nations Unies en cas d’invasion soviétique. Mais si les Américains se font les hérauts du monde libre, leur velléité de résistance interroge sérieusement. Ainsi, en 1956, lors de l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars soviétiques, on comprend qu’il n’y aura pas d’intervention dans un tel cas de figure. Washington se résout au modus vivendi du partage de l’Europe. Rien ne dit par ailleurs que les États-Unis auraient soutenu les Européens en cas d’invasion soviétique. L’Alliance Atlantique ne saurait faire lever ce doute. Sur le plan international, le souhait d’endiguer le communisme ne saurait faire oublier l’appui à la décolonisation. Lorsque les Anglais et les Français veulent punir Nasser en débarquant à Suez, les Américains sifflent la fin de la récréation : pas question de tolérer ce qu’ils assimilent à une politique de la canonnière. L’expédition de Suez sera la dernière initiative militaire européenne autonome. En Algérie, les Américains sont attachés à l’indépendance des populations. Pas question de se mettre à dos ce nouveau monde qui veut secouer la tutelle coloniale… En Indochine, ce n’est qu’avec l’implication de la Chine que les États-Unis ont tempéré leur ardeur décolonisatrice, même s’il est vrai que le Viet Minh est d’inspiration communiste. Le retour du général de Gaulle aux affaires publiques sera souhaité et même salué en 1958, mais rapidement les relations vont se tendre dans les années qui suivent. Washington n’apprécie pas le retrait de la France du commandement militaire de l’OTAN.
La France déplore même un Jimmy Carter qui recule à la fin des années 1970 face aux soviétiques. Malgré l’intermède de la Guerre du Golfe, qui voit les Français s’engager aux côtés des Américains contre l’Irak de Saddam Hussein, la Chute du Mur de Berlin est suivie par un contentieux transatlantique, notamment sur le plan économique. La critique française de l’intervention militaire en Irak de 2003 va ainsi remettre sur la scène une nouvelle friction. Comme si la tension était justement un élément constant, voire structurant, de cette étrange relation. France & États-Unis : jamais ennemis, mais jamais vraiment amis.

 

Illustration : Quand Dominique de Villepin affirma que la France ne soutiendrait pas les mensonges américains justifiant leurs guerres opportunistes.

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés