Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Lors de récents entretiens, Emmanuel Macron, interrogé sur les choix politiques qui ont été les siens, et notamment sur la dissolution, a présenté des éléments de langage qui ne correspondent en rien aux réalités, sinon politiques, au moins constitutionnelles.
Cette suite de contre-vérités tend malheureusement à s’imposer dans l’esprit des Français, qui devraient pourtant s’interroger sur la pertinence de certaines affirmations. On retiendra ici à titre d’exemple celles des premières phrases de l’explication présidentielle donnée à France 2 et Franceinfo depuis le Trocadéro au lancement des JO (de 2’39 à 3’15 dans la vidéo sur le site de l’Élysée). « J’ai fait ce choix en conscience, avec beaucoup de gravité, parce que l’Assemblée nationale ne correspondait plus à la société française ».
Le terme « plus » est ici important : sociologue jusqu’alors inconnu, Emmanuel Macron estime donc qu’en deux années l’Assemblée nationale n’était plus représentative de la France et des Français. Sur quelle base ? Nous n’en saurons rien. Par ailleurs, on notera qu’en prônant les désistements entre les deux tours des législatives dans le cadre du « front républicain », le Président et son parti ont conduit à faire de la nouvelle Assemblée nationale, très volontairement cette fois, un miroir tout aussi déformant de la société française. Et que les alliances prônées pour former la large coalition centrale tant espérée déformeraient encore un peu plus cette réalité.
Les « difficultés » ne s’accumulaient pas plus que dans n’importe quel régime parlementaire dans lequel le pouvoir en place ne dispose que d’une majorité relative. Que la Ve République ne nous ait pas habitué à cela est une chose, que la Constitution ne permette pas de fonctionner ainsi en est une autre. Il convient seulement pour le gouvernement, comme cela a d’ailleurs été fait entre 2022 et 2024, de négocier texte par texte avec des majorités qui peuvent évoluer, et, sinon, de tenter le passage en force en usant du 49.3, confiant dans le fait que les députés ne voteront pas la censure.
Première élément surprenant, cette certitude affirmée du vote d’une motion de censure. On vient d’en parler, les échecs répétés des derniers votes sur de telles motions depuis 2022 montrent bien qu’il n’y avait absolument rien d’inéluctable en la matière – notamment parce que ceux que le pouvoir qualifie « d’extrêmes » n’étaient pas prêts à mêler leurs votes, et que pour les autres, la peur d’une dissolution qui suivrait, comme en 1962, les conduisait à rentrer dans le rang. Que « tout le monde » l’ait dit est soit une autojustification sans aucun fondement, soit la preuve que le Président a cédé face à des présentations erronées.
Deuxième élément, plus important encore, le vote d’une motion de censure n’amène pas nécessairement à une dissolution. Certes, la seule notion de censure qui a été votée sous la Ve République, en 1962, a conduit le général de Gaulle à dissoudre l’Assemblée nationale. Mais ce vote, rappelons-le, était d’abord dirigé contre lui et non pas contre le gouvernement de Georges Pompidou. Il s’agissait de sanctionner le choix fait par le président de la République de faire réviser la Constitution – pour instaurer l’élection du président au suffrage universel direct – par un référendum en application de l’article 11 de la Constitution, au lieu d’utiliser la procédure de révision prévue à l’article 89. Le vote favorable des Français sur le projet de révision présenté a validé en quelque sorte cette utilisation de l’article 11 – le Conseil constitutionnel s’interdisant ensuite de contrôler un texte de loi voté par le peuple souverain. Mais l’ultime tentative des tenants de l’élection du président par un collège électoral politicien pour manifester leur désapprobation a été cette motion de censure.
Pour autant, lorsqu’il y a vote d’une motion de censure, le Premier ministre remet sa démission au président, point final. Il appartient alors à ce dernier de nommer un nouveau Premier ministre, qui lui proposera un nouveau gouvernement dont la politique se fera cette fois plus en accord avec les attentes de la majorité siégeant à l’Assemblée nationale. La dissolution n’est en rien obligatoire.
Effectivement, si une motion de censure avait été votée à l’automne, cela aurait pu se passer lors de la procédure budgétaire. Pour autant, contrairement à ce que le président semble suggérer, il n’y aurait pas eu ici de blocage définitif, puisque des procédures permettent de voter partiellement le budget. La procédure dite des douzièmes provisoires aurait par exemple évité de voir l’État s’arrêter faute de vote de la loi budgétaire – dans l’intervalle, qui plus est, très court, qui peut exister normalement entre deux gouvernements.
Malheureusement, c’est exactement ce que nous propose le Président un peu plus loin dans le même entretien, avec cette idée de « trêve » qui devrait nous faire oublier la politique le temps des Jeux olympiques – et vraisemblablement, car il a laissé planer le doute sur le sujet, paralympiques –, pour n’aboutir à la création d’un gouvernement qui pourra – ou pas – obtenir le soutien de la Chambre à l’automne. La « crise politique » existe en fait, si on comprend bien les propos présidentiels, tant que ne se sera pas dégagée, comme il le souhaite, une majorité de gouvernement construite autour d’une force centrale renforcée par l’apport des Républicains sur sa droite et par les « sociaux-démocrates » sur sa gauche. Certes, visiblement, Emmanuel Macron semblait croire, si l’on retient cette fois ses déclarations faites après les JO, que la « parenthèse enchantée » qu’ils auraient vécue a réconcilié les Français entre eux, tous maintenant convaincus d’œuvrer ensemble à la reconstruction du pays sous sa direction éclairée. Las, il lui faut bien déchanter. La crise politique est donc toujours possible, avec, exactement comme avant la dissolution, la menace d’une motion de censure qui verrait se coaliser les « extrêmes » contre ce futur gouvernement nommé par Emmanuel Macron… à moins, pour Jupiter, de boire le calice jusqu’à la lie et de laisser faire une politique de gauche vaguement recentrée.
C’est là que le bât blesse le plus : le président n’a justement aucunement engagé sa responsabilité politique devant le peuple. En 1962, Charles de Gaulle demandait aux Français, par la dissolution, de lui renouveler leur confiance en reconduisant une majorité parlementaire qui aille dans son sens. Nul doute que si la réponse avait été négative, s’il n’avait pas obtenu une majorité absolue à l’Assemblée nationale, il aurait immédiatement quitté ses fonctions. Emmanuel Macron n’est certes pas le premier président français à se refuser à tirer les conséquences d’un tel désaveu – on ne reprendra que l’exemple de Jacques Chirac en 1997. Mais en ne mettant pas en jeu sa responsabilité politique, il a limité le « choix » des Français à un jeu que les désistements du « front républicain » ont rendu encore plus politicien.
Arrêtons-là, pour constater que nous sommes ici face à la réécriture d’un moment politique qui est faite en dehors des réalités institutionnelles, et notamment constitutionnelles. Qu’il s’agit bien d’un simple élément de communication visant à prouver que le président n’a pas seulement fait le bon choix, mais aussi le seul choix possible, et qu’on ne saurait donc rien lui reprocher. « Je ne dirais pas que c’est un échec, je dirais que ça n’a pas marché », avait déclaré dans d’autres circonstances celui qui, décidément, reste le gamin pris en faute et niant effrontément avoir cassé le beau vase de la tante à héritage.
Illustration : – Je crois bien que j’ai fait une boulette…