Florence de Baudus vient d’écrire encore un beau livre. Dans sa veine, à elle, qui lui réussit si bien ! Des biographies, comme toujours extrêmement soignées, très documentées, comme il faut par un travail préparatoire, mais si élégamment présentées que le lecteur a le plaisir de se trouver devant des portraits peints au naturel.
Florence de Baudus s’est fait une spécialité de la fin du XVIIIe siècle et de la période napoléonienne avec le duc d’Enghien, son ancêtre Amable de Baudus, les sœurs de Bonaparte, Caroline et Pauline, les souveraines de l’époque, la reine Louise en particulier, face à Napoléon. Son talent est de mêler adroitement l’histoire singulière et l’histoire générale avec des notes de psychologie sur les différents partenaires qui rendent vivement accessibles tant les perspectives de l’ensemble que la compréhension de la vie particulière du personnage étudié. La mise en rapport est du coup admirablement éclairante.
Ici Napoléon éclaire Monge et vice-versa. Monge, savant mathématicien, fondateur de l’École polytechnique, professeur né, qui a collaboré aux innovations de l’époque que la Convention s’est ainsi attribuées, idéologue typique de son temps qui croit au progrès, aux Lumières, à la liberté, devient un fidèle du despote éclairé Napoléon qui en fait un instrument de sa domination. Et que faire après le désastre ? Pauvre Madame de Staël qui court après la gloire et qui cherche le grand homme. Elle n’aura droit qu’à des rebuffades, tout en s’imaginant femme de lettres et philosophe. Louis de Fontanes, l’ami des lettres et de Chateaubriand, est incapable de résister à la fascination de Napoléon qui le met à la tête de son université, dans le but de façonner les esprits, alors qu’il garde ses attachements religieux, politiques et amicaux.
La tragique obstination de l’homme qui se croit plus fort que le destin
Pie VII, le pape, a cru au grand homme et fort sincèrement. Pour sauver l’Église et ressusciter l’Église de France, il accepte ou fait semblant d’accepter le jeu du tyran qui se sert de la religion à son unique profit politique. Pie VII saura résister aux ultimes exigences après avoir trop cédé. Et pourtant il est le seul souverain à garder de la sympathie et de la charité pour l’empereur déchu. Madame Mère reste fidèle à son fils malgré toutes les difficultés rencontrées et les illusions perdues. Armand de Caulaincourt est le type même de l’homme d’honneur, fidèle entre les fidèles, qui voit les fautes, tente de prévenir, essaye de raccommoder, échoue devant la tragique obstination de l’homme qui se croit plus fort que le destin.
Pierre Fontaine se veut l’architecte de l’empereur, qui le préfère à tous, car l’homme inscrit sa gloire dans la pierre, les palais, les arcs. Mais le mécène n’a pas l’avenir devant lui. Elie de Baudus est le parfait gentilhomme qui veut servir au-delà de ses propres préférences. Lui aussi, comme Caulaincourt, voit, comprend et finalement, jeune de cœur et d’esprit, accomplit sa carrière sans illusion sur l’issue, mais en admirant tout ce qu’il y a d’admirable dans cette épopée invraisemblable. Il sera fidèle jusqu’au bout, mais à son devoir, qui se reportera naturellement sur le roi. Mille anecdotes sorties des archives ou des mémoires enrichissent ces récits, un livre passionnant pour qui aime l’histoire.
Florence de Baudus, Servir l’empereur ou trahir la France. Passés/composés, 300 p., 23 €