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Le sociétal est-il politique ?

Le “sociétal” prétend régenter les mœurs. Une question se pose alors : l’État est-il fondé à régir ce qui relève du for interne et gouverner nos comportements ?

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Le sociétal est-il politique ?

Le sociétal, se définissant comme ce qui est commun mais ni social ni économique, est un concept d’origine récente. Tout se passe comme si notre civilisation fatiguée n’avait plus que ce domaine pour accomplir une ultime révolution. Le sociétal vient relayer le social qui sature, nouvelle sollicitude de la Big Mother, grosse mère républicaine, à notre endroit. Depuis le Front populaire en passant par 1945, droite et gauche n’ont cessé d’aller, pour le meilleur et pour le pire, sur le social, non sans légitimité, mais à l’excès le plus souvent. Résultat, 48 % de prélèvements obligatoires : à partir du 16 du mois, les Français travaillent pour l’État. Aides en tous genres, exercice de la solidarité nationale, le budget social en est l’illustration. La France a consacré 32,2 % de son produit intérieur brut à la protection sociale en 2022, soit 848,9 milliards d’euros, ce qui correspond environ à 12 550 euros par habitant. Tandis que le budget, réputé régalien et qui comprend aussi du social, atteignait 454,6 milliards d’euros en 2023.

Historiquement il y avait donc le régalien, puis le social et maintenant, le sociétal. Un processus de superposition d’un totalitarisme lent mais assurément envahissant. Qui pose désormais le problème de la liberté d’opinion et de conscience. Mais aussi celui de l’abandon du politique, soit la souveraineté, la sécurité, l’ordre public, l’armée, la police et la justice, la diplomatie et la monnaie laissés aux groupes de pression ou à des instances réputées supérieures comme l’Union Européenne. L’oxymore républicain liberté/égalité (si nous voulons être plus égaux, il faudra être moins libres et l’inverse) est maintenant supplanté par un impératif LGBTQ, transition de genre, avortement, euthanasie.

La république des mœurs

Vigilante est cette république comme en témoigne la récente chasse aux sorcières contre les supposés conservateurs, lors de la constitution du gouvernement Barnier. Ainsi Laurence Garnier était supposée devenir ministre de la Famille, mais elle avait participé en 2013 à La Manif Pour Tous, irrémédiable infamie. La Manif Pour Tous qui défendait la famille classique par opposition au « mariage pour tous » et donc à la « famille » gay ou lesbienne, dont l’une des conséquences est de contribuer à la destruction de notre société. Laurence Garnier ne sera donc pas ministre de la famille, opposée comme elle l’était à… la destruction de la famille.

En la matière, le gentil petit caniche Attal s’est transformé en roquet dans la perspective des présidentielles de 2027. Il a prétendu attendre du Premier ministre que celui-ci, dans sa déclaration de politique générale, donne « clairement » des garanties sur « la PMA, le droit à l’IVG, les droits LGBT », comme s’ils étaient menacés : c’est donc pour Attal, vrai homme de gauche, une affaire d’opinion et donc un délit ejusdem farinae, trait congénital de la gauche experte en chasse aux sorcières.

Le sabre et le goupillon

Une obscure chroniqueuse de Politis a écrit : « Ce n’est pas un gouvernement, c’est la sortie de messe à Saint-Nicolas-du-Chardonnet ». Le trait est gros mais révélateur de l’affolement moral de cette gauche qui n’existe que par le sociétal. « Bolloré a son gouvernement, l’alliance du Puy du Fou, de La Manif Pour Tous […] Le sabre et le goupillon », selon David Assouline, membre du bureau national du Parti socialiste. Pour les journalistes de Libération, le nouveau locataire de la place Beauvau, Bruno Retailleau, incarne ainsi « la frange la plus conservatrice de la droite ». En cause, ses liens avec Philippe de Villiers, son opposition au mariage pour tous, son amitié avec François Fillon ou encore son opposition à la constitutionnalisation de l’IVG.

Le sociétal contre la civilisation

La volonté d’inscrire l’avortement dans la constitution et celle de légiférer sur la fin de vie ne sont pas sans conséquence en termes de civilisation. Il paraît que la marche de l’histoire s’est manifestée, dans la fête et l’unanimité, lors du congrès de Versailles, pour inclure l’avortement dans la constitution le 4 mars 2024. « Comment résister à ce méli-mélo émotionnel et militant ? » nous dit Jean-Pierre Le Goff, ajoutant que le courage n’est pas toujours au rendez-vous dans cette affaire, le risque étant, comme toujours, de n’être pas progressiste. Reste, dit-il encore, à propos cette fois de la loi sur la fin de vie, que « le rapport à la mort est une situation des plus intimes qui ouvre les questions éthiques, métaphysiques et religieuses qu’on ne saurait évacuer » (Le Figaro, 10 mars 2024). Ces questions ont été manifestement évacuées. Et Il aura fallu que ces paroles fortes vinssent d’un sociologue et philosophe qui passe encore pour un homme de gauche.

Quoi qu’il en soit, l’État a franchi, au nom du sociétal, une nouvelle limite qui nous mène sur les routes de la servitude. On pense à Tocqueville : « Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux… », et plus encore, un État croquemort, un État sage-femme, un État père de famille, un État gynécologue, et c’est tout juste si cet État ne nous fait pas nous allonger sur un canapé pour une psychanalyse !

La Constitution instrument de censure ?

Il n’était pas apparu que la Constitution fût un outil de censure, mais il y a dans la démarche de constitutionnalisation du droit à l’avortement une arrière-pensée de sacralisation républicaine pour rendre délictuelle toute tentative de débat sur l’opportunité de ce choix pour une femme. L’inscription dans le marbre étant fondamentalement contraire à la démocratie dont les politiques se réclament, alors que sa remise en cause en France n’est pas une menace, tandis qu’il n’est pas évident que le sujet soit une matière constitutionnelle et, comme l’a justement souligné le président du Sénat, Gérard Larcher, la Constitution n’est pas un catalogue de droits. Mais de toute façon, il ne serait pas anormal qu’il soit remis en cause, et qu’il fasse l’objet d’un débat. Le marbre de la Constitution est-il fait pour interdire d’avoir une opinion et de l’exprimer ? Nous sommes vraiment très loin de la nature d’une constitution dont la fonction est d’établir la règle du jeu politique et de vérifier son application et non pas d’interdire les pensées dissidentes.

Les droits naturels et le droit positif

Bien entendu l’État ne peut pas se soustraire au sociétal puisqu’il façonne la société et qu’il en détermine pour une part le bien commun ; le sociétal est donc politique mais il est utilisé de la pire manière politicienne, comme outil de combat contre ses adversaires et sur des fondements idéologiques. Et c’est là qu’intervient la distinction entre droit naturel et droit positif. Désormais le droit naturel, qui s’oppose au droit positif, est relégué au second plan. Le droit positif, qui est le droit en vigueur, se modifie en fonction de l’évolution des mœurs et des modes. Le droit naturel est l’ensemble des droits que chaque individu possède du fait de son appartenance à l’humanité et non du fait de la société dans laquelle il vit. À l’évidence, aujourd’hui, la tendance est à faire disparaître tout ce qui relève du droit naturel au profit du droit positif. Le droit positif étant un droit adaptatif, évoluant avec la société, il permet à la gouvernance un remodelage sociétal à sa guise : parfois il suit l’opinion, parfois il la précède, mais dans le premier cas l’opinion est elle-même le jouet de lobbys, remodelage que le caractère immuable et immanent du droit naturel lui interdit.

Les domaines du droit naturel

Retenons les plus importants : le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à la propriété, et le droit à la liberté. On aura compris que le « camp du bien » a relégué depuis longtemps ces droits dans les ténèbres extérieures de la « république » et qu’être républicain aujourd’hui c’est être pour un ordre moral, façon « brigade des mœurs », comme en Iran, mais pour des objectifs radicalement inverses.

 

Illustration : Paris, Manifestation ExisTransInter, oct. 2024. « Face aux réactionnaires : riposte unitaire pour les droits trans et intersexes. » Du vrai bon sociétal.

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