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Soudain l’été dernier

Tennessee Williams fut le grand écrivain des névroses humaines, à commencer par les siennes propres. Le Septième art lui aura maintes fois rendu hommage en sublimant des pages de son œuvre que l’on peut ranger parmi les plus belles pages de la littérature mondiale.

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Soudain l’été dernier

Sans le cinéma, son théâtre, somme toute formellement et académiquement conventionnel, serait vraisemblablement passé aux oubliettes, n’eussent été, malgré tout, quelques pièces mais dont le succès n’aurait peut-être pas dépassé le périmètre convenu des théâtres de Broadway. C’eût été, à tout le moins, préjudiciable, tant l’œuvre de cet homme du « Old South » (il naquit dans le Mississippi en 1911), bien qu’elle soit hantée par de vieux démons (l’alcoolisme, la folie, le sexe…), nous renseigne avec acuité sur la sauvagerie primordiale tapie au fond de nos âmes marquées par le péché originel. Soudain l’été dernier (Suddenly Last Summer, 1959) est au nombre de ces sombres méditations sur les travers, vices et tares de l’hommerie. Conçue comme un polar, l’œuvre se veut une réflexion sur l’hypocrisie, la cupidité et l’aveuglement des mères possessives (ces genitrix à la Mauriac), bien plus soucieuses des apparences, des convenances et du qu’en-dira-t-on que de leur progéniture pourrissant sur pied, dévorée de l’intérieur par mille et un atavismes plus ou moins honteux. Le film de Joseph L. Mankiewicz (Quelque part dans la nuit [1946], L’Aventure de Madame Muir [1947], L’affaire Ciceron [1952], Jules César [1953], La Comtesse aux pieds nus [1954], Cléopâtre [1963]…) est un vrai film d’auteur, en ce sens qu’il transfigure la pièce du dramaturge. Comme l’écrit Jean Tulard, « sur un sujet de Williams, excessif comme tous les sujets de cet auteur, il fait preuve d’une constante maîtrise. Il aère la pièce tout en conservant l’atmosphère étouffante » (Guide des films, Robert Laffont, 1990, pp. 781-782). Le cinéaste use habilement du flash-back, moins pour narrer une histoire parallèle que pour dévoiler les dessous peu avouables de l’histoire principale.

Une atmosphère pesante et ambiguë de bout en bout

Tout s’est manifestement noué dans le passé et le présent paraît figé, comme suspendu à un processus psychique d’intériorisation temporairement détraqué. Katharine Hepburn dans le rôle de Violet Venable, la mère castratrice et incestueuse, est totalement confite dans un souvenir d’autant plus malsain qu’il est tout à la dévotion hagiographique de son fils aimé, prématurément disparu, ce fatal « été dernier », tandis qu’il était, pour une fois, parti sans sa mère en vacances en Espagne, aux bras de sa cousine Catherine (Elizabeth Taylor). Cette dernière reviendra, mais seule et aliénée, n’ayant pu empêcher la mort de son cousin désaxé, inverti refoulé qui périra dans un holocauste anthropophagique aussi sordide que rédempteur : l’ascension de l’homme, tout de blanc vêtu, poursuivi par une horde de jeunes hommes miséreux et pouilleux, jusqu’à ce qu’ils aient eu raison de lui au sommet de la Tête du Loup, n’est pas sans évoquer, mutatis mutandis, la montée du Christ sur le mont Golgotha ; la scène/cène finale est littéralement propitiatoire ; définitivement délivré de sa chair peccamineuse, demeure une âme pure ressuscitée dans le souvenir d’un jeune poète excentrique mais talentueux, honoré par le cercle rapproché de ses apôtres familiaux. Pourtant, ce fils prodige n’est nullement un saint et la comparaison allégorique s’arrête là. Cela contribue, sans aucun doute, au malaise que l’on peut éprouver à la fin du film, que ne parvient pas à dissiper la perspective eudémoniste de l’idylle enfin assumée entre l’envoutante Catherine et le docteur Cukrowicz, brillant chirurgien, dont le nom signifie « sucre » en polonais (superbement incarné par Montgomery Clift). L’atmosphère du film est pesante et ambiguë de bout en bout. N’oublions pas que tout part d’un marchandage plutôt cynique, sinon terrifiant : Violet Venable promet de financer les recherches d’un hôpital psychiatrique impécunieux (celui dans lequel exerce précisément le docteur (en) « sucre ») en échange de la lobotomisation de sa nièce Catherine, accusée d’érotomanie violente et hystérique et enfermée dans un asile tenu par des religieuses. Le jeune chirurgien a tôt fait de constater que sa patiente souffre davantage d’amnésie consécutive au psycho-traumatisme dû au décès tragique de son cousin. L’un et l’autre se trouvent et se retrouvent d’autant plus qu’ils refusent d’être les jouets d’un double système, bourgeois (pour l’une) et médico-administratif (pour l’autre), bâti sur le mensonge et les faux-semblants. Dérangeant mais artistiquement abouti.

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