France
Gouvernement : l’inavouable responsabilité
Si on lit la Constitution de 1958, le Gouvernement est responsable devant les parlementaires avec la faculté pour l’Assemblée nationale de refuser la confiance ou de voter la motion de censure.
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Pourquoi choisir un titre aussi provoquant que « Le suicide français » ?
L’aspect éditorial a bien sûr compté, mais le but était avant tout de frapper un grand coup, dès la couverture, pour alerter sur l’imminence de la catastrophe : la disparition pure et simple du peuple français et de sa civilisation tels qu’ils existent depuis des siècles. On peut toujours ergoter pour savoir s’il s’agit d’un suicide, d’un meurtre ou que sais-je encore… Il n’empêche que nous sommes collectivement fascinés par notre propre disparition et que nous cédons volontiers à cette pulsion mortifère. Il s’agit donc bien d’une sorte de suicide. Ou, si l’on veut, d’un suicide assisté.
Qui en est le responsable ?
Le responsable, c’est le projet subversif de ceux qui contraignent notre pays à ingurgiter des valeurs et des mœurs aux antipodes de ce qu’il a édifié au fil des siècles. C’est un totalitarisme d’un genre nouveau qui, en particulier à travers les médias, impose ses conceptions et guide les consciences, interdisant de fait toute pensée autonome. C’est la haine des élites politiques, économiques, médiatiques, héritières de Mai 68, envers le peuple français et son histoire. Et ce sont les Français eux-mêmes qui ont assimilé cette haine et, par une sorte de masochisme, l’ont retournée contre eux.
Comment expliquez-vous alors le succès phénoménal de votre livre ?
Quand les Français sortent de chez eux, ils ont l’impression d’avoir changé de continent ! Le voile se déchire… Nos compatriotes ne se sentent plus chez eux et il est interdit de le dire. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que nous avons affaire à un système qui évacue le réel. Dans mes écrits, j’essaie modestement de le remettre au centre du débat public, ce qui, évidemment, suscite la colère de ceux qui n’ont de cesse de l’ostraciser.
Justement. Vos détracteurs vous reprochent des analyses manichéennes et réactionnaires. Que leur répondez-vous ?
Généralement, ceux qui me reprochent ma vision « manichéenne » comme vous dites, sont les mêmes qui traitent mon livre de manière caricaturale. Livre que, d’ailleurs, souvent ils n’ont pas lu, ou alors très vite et très mal. Mais on accuse toujours les autres de ses propres turpitudes, c’est une loi de la psychologie… Quant au terme « réactionnaire », comme celui de « populiste », je l’assume pleinement. D’abord parce que, revendiquant mon droit à réagir, j’en suis un au sens propre. Ensuite, parce qu’en effet j’aime le passé, j’aime l’histoire et en particulier l’histoire de France, de laquelle nous aurions des leçons à tirer pour surmonter la crise actuelle qui menace de nous emporter. Tous les renouveaux se sont fondés sur des expériences du passé. Dans un de ses textes, le général De Gaulle en appelle à la tradition pour, je cite, « régénérer le pays ». Or, depuis quarante ans, par un mélange d’inconscience et d’arrogance, on s’ingénie à détruire notre mémoire nationale, ce qui est une catastrophe à tous les niveaux. Je ne défends évidemment pas une conception étriquée de la tradition, mais l’arrachement à nos racines comme condition du progrès humain est une idée fausse et dangereuse… Comme l’explique Jean-Claude Michéa, la liberté, telle que nous la concevons depuis le XVIIIe siècle, naît de la confrontation entre la tradition et l’individualisme. Or, Mai 68 a tué cette dialectique puisqu’il a détruit toute référence au passé : de ce fait, l’individu a été laissé à lui-même, à ses caprices, à son hubris.
Dans votre livre, vous expliquez que ce qui a sauvé les soixante-huitards, c’est qu’ils ont échoué à prendre le pouvoir. Que voulez-vous dire par là ?
Cette explication est tirée d’une discussion entre Alain Peyrefitte et Georges Pompidou rapportée dans Le Mal français, le livre de Peyrefitte. Or, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le libéral, le progressiste, le moderne, ce n’est pas Pompidou, c’est Peyrefitte. Son action à l’Éducation nationale est une catastrophe ! En 1968, De Gaulle, qui ne comprend pas ce qui est en train de se passer, le pousse sur le devant de la scène en pensant qu’il va sauver les meubles. Mais c’est le contraire qui se passe. Pompidou, qui est le vrai conservateur, a tout compris. Il sera d’ailleurs furieux contre Chaban-Delmas et son discours de politique générale sur la « nouvelle société » où, remarque-t-il, pas une seule fois ne figure le mot « Etat ». De fait, Premier ministre en 1969, juste après les événements de mai, Chaban fait entrer l’esprit soixante-huitard dans les institutions gaulliennes. Esprit qui va, dès lors, se diffuser dans la société, comme le ver dans le fruit.
En fait, essentiellement, sous l’argument culturel ?
Oui, c’est par la culture, d’abord par la culture savante avec ce que les Américains appellent la french theory, puis par la culture populaire, que ces idées se sont diffusées. Dans mon livre, j’analyse un certain nombre de films et de chansons représentatifs de cette idéologie qui va progressivement subvertir la société traditionnelle d’avant les années 70. Ce fut d’autant plus efficace que la plupart des artistes de l’époque avaient un talent formidable. La violence comique d’un Coluche frise le génie ! Pas un seul des « humoristes » d’aujourd’hui – qui se contentent sagement d’être des chiens de garde de l’idéologie dominante – n’arrive à la cheville de ce pur produit de l’esprit de 68 qui fut sans doute l’un des plus grands « déconstructeurs » de la seconde moitié du XXe siècle. Ironie de l’histoire : si ces artistes avaient un tel talent, s’ils l’ont fait fructifier, c’est qu’ils ont bénéficié de l’excellente formation classique qu’ils ont contribué à détruire. De même avaient-ils eu un père à qui se confronter pour devenir des hommes. Mai 68 a tué la figure du père. Le féminisme en a fait une mère comme une autre.
On a parfois l’impression que cette idéologie que vous décrivez est en fait une sorte de religion qui a pénétré toutes les couches de la société jusqu’au plus haut sommet de l’Etat…
Absolument ! On a affaire à une nouvelle religion d’état prêchée par des grands-prêtres qui catéchisent, sermonnent, excommunient… Sous couvert de « valeurs de la République », nos élites nous imposent une religion républicaine – le progressisme, le féminisme, l’antiracisme – qui est précisément l’anti-république puisqu’elle est tout sauf la « chose publique » mais une idéologie. Leur idéologie.
N’est-ce pas, au moins en France, une dérive inhérente au régime républicain, cette sacralisation du politique ?
C’est une question compliquée mais vous avez sans doute raison de penser que cette tendance est inscrite dès l’origine dans les gènes de la République. Michelet parlait de Robespierre et des Montagnards comme du « parti-prêtre ». Nous sommes un peuple de dogmatiques… Moi, je suis pour la révolution arrêtée par Bonaparte, celle qui, comme il le disait lui-même, s’arrête aux principes qui l’ont commencée : l’égalité et le mérite. Rien de plus, rien de moins ! Cela dit, je comprends la critique contre-révolutionnaire. Quand il relève les contradictions des principes de la Révolution et de la philosophie des Lumières, Joseph de Maistre a souvent raison sur le plan intellectuel. Vous voyez, je n’ai rien contre les monarchistes. Mais il faut assumer son héritage et savoir en conserver le meilleur. Et, je le répète, le meilleur de la Révolution française, c’est la fin des privilèges liés à la naissance. C’est le mérite.
On sait que vous êtes un admirateur de Napoléon…
Dans Mélancolie française, mon précédent livre, je soutiens, à rebours de l’historiographie autorisée, que Napoléon a porté au plus haut l’ambition poursuivi pendant quinze siècles par la monarchie française d’être reconnue comme l’héritière de Rome. Ce rêve de la monarchie de succéder à l’Empire romain, Napoléon l’a accompli même si l’aventure s’est terminée par un désastre. Cette thèse permet de comprendre pourquoi l’échec final de 1815 est une rupture profonde de l’histoire de France. A partir de cette date, elle ne peut plus dominer l’Europe. Elle n’est plus un géant et elle le sait. Par une sorte d’effet de compensation, ses élites cherchent depuis des modèles et des maîtres à l’étranger : ce fut l’Angleterre, puis l’Allemagne et l’Amérique, enfin l’URSS et maintenant l’Europe, mais l’Europe allemande…
Revenons-en à l’actualité. Des critiques extrêmement virulentes contre les socialistes au pouvoir et le politiquement correct de la société médiatique proviennent d’intellectuels classés à gauche (Michel Onfray, Jean-Claude Michéa, Régis Debray, Christophe Guilluy…). Pour vous, qu’est-ce que cela signifie sur le plan du climat intellectuel et idéologique français ?
J’écris depuis vingt ans que le clivage entre la droite et la gauche n’a plus aucun sens ! En voilà la preuve. Je vous renvoie à la remarquable formule d’un autre intellectuel venu de la gauche, Alain Finkielkraut, sur l’alternative entre « le parti du sursaut et le parti de l’autre ». Nous avons le choix entre « l’autre », c’est-à-dire celui qu’on aime jusqu’à la haine de soi, et le « sursaut », autrement dit le refus de disparaître, collectivement en tant que peuple, mais aussi personnellement comme individu libre. Un philosophe comme Michel Onfray, qui a beaucoup lu et beaucoup travaillé, est en train de choisir. Venu du camp autoproclamé « progressiste », il n’en est pas moins dans le collimateur du « parti de l’autre » parce qu’il a compris que sa liberté individuelle – en tant que citoyen mais aussi en tant que penseur et intellectuel – est en jeu.
Le Front national peut-il être l’instrument de cette nécessaire réaction ?
Il m’est difficile de répondre à cette question. Le FN fait de la politique politicienne, ce qui est son rôle mais ce n’est pas mon combat. à mon avis, le nerf de la guerre c’est de reconquérir culturellement la société sur les thèmes que j’ai définis dans mon livre. La réaction politique et électorale ne pourra aboutir qu’après. Quand la société sera prête à l’accueillir. Et on ne sait pas encore quelle forme partisane elle prendra.
A lire : Le suicide français, Albin Michel, 544 p., 22,90 euros.