Le premier des deux décrets-lois Marchandeau (21 avril 1939) leur donnait la faculté de poursuivre en justice les auteurs de propos oraux ou d’écrits diffamatoires ou injurieux visant les personnes ou les groupes à raison de leur appartenance ethnique ou religieuse. Plus tard, la loi Pleven (1er juillet 1972) a interdit, de manière beaucoup plus précise, ces manifestations, et prévu également la répression judiciaire des pratiques de discrimination ethnique ou religieuse. Et les dispositions de ces deux mesures ont été insérées dans le texte de la loi du 29 juillet 1881 ayant institué la liberté de la presse et les conditions d’exercice de cette liberté.
Des abus devenus la norme. Le règne de l’intolérance
Ces lois font aujourd’hui consensus. Encore faut-il ne pas en abuser pour étouffer la liberté d’expression de personnes ou de groupes hostiles au pouvoir. Un tel abus semble devenu de règle, de nos jours. Il n’est que de considérer l’adjonction à l’article L 212-1 du Code de la Sécurité intérieure, du contenu de l’article 16 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, qui stipule que, désormais, le pouvoir exécutif peut dissoudre les groupes « qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ». Nos dirigeants n’avaient d’ailleurs pas attendu cette modification du Code de la Sécurité intérieure : dès avril 2019, le ministère Philippe dissolvait sept petites formations nationalistes en raison des prétendus « dangers » liés à leurs idées. Lorsqu’ils ne sont pas dissous, les groupes politiquement incorrects se voient interdits de tenir des réunions dans « l’espace public ». Ainsi, l’institut Iliade a vu son colloque annuel, consacré, en mai 2023, à un hommage à Dominique Venner, interdit au motif qu’« il existe des risques sérieux pour que, à l’occasion de cet hommage, des propos incitant à la haine et à la discrimination soient tenus ».
L’utilisation abusive et partisane de la notion d’espace public
Il convient de s’interroger sur cette notion d’« espace public », d’utilisation si courante de nos jours. D’aucuns font de l’espace public une véritable propriété de l’État. C’est là une interprétation abusive. L’espace public est un lieu qui n’est la propriété ni d’une personne ni d’un groupe particulier, et pas davantage celle de l’État, comme le sont les bâtiments administratifs ou les domaines de l’État ayant le statut d’établissement public. Les pouvoirs publics en possèdent l’infrastructure matérielle (la voie de communication ou le bâtiment), mais ne peuvent décider de l’opportunité ou du caractère indésirable de l’usage qui en est fait, sauf lorsque celui-ci recèle un risque de trouble pour l’ordre public. Et ce risque doit être prouvé. Or, ce n’est jamais le cas en ce qui concerne les réunions sur lesquelles pleuvent les interdictions des pouvoirs publics. Le colloque de l’institut Iliade ne comportait aucun risque de propos susceptibles de provoquer une quelconque haine. En réalité, ce ne sont pas de tels « risques » que vise l’interdiction, mais bien les idées de l’institut Iliade. Et, similairement, lorsque le gouvernement dissout telle formation nationaliste, il opprime simplement un adversaire politique, sans se soucier des « risques » imaginaires prétendument liés à son existence.
La notion de « risque d’incitation à la haine et à la discrimination » est un simple prétexte, parfaitement hypocrite, et visant à justifier au prétexte de la défense de la population des mesures relevant de la plus pure intolérance. Ainsi, l’État se permet illégitimement de dissoudre des groupes et d’interdire des réunions dans un espace public dont il n’est nullement le propriétaire sous des prétextes fallacieux destinés à transfigurer l’intolérance de fond qui inspire ses décisions. Ce faisant, il définit et impose une orthodoxie morale et politique, et se donne le pouvoir de limiter, voire d’abolir à son gré, la liberté des citoyens.
Un État totalitaire
L’État républicain n’est pas neutre, mais idéologiquement orienté et étroitement partisan. Il n’est certes pas tenu par un seul parti, mais par divers partis ou coalitions qui alternent à sa direction et s’opposent théoriquement tout en se réclamant des mêmes « valeurs de la République », intolérantes à toute contestation (au mépris des libertés de pensée et d’expression), d’inspiration idéologique plus que morale, et constamment interprétées et élargies dans une direction politique déterminée et présentée comme la seule acceptable, gauchère, voire gauchiste, avec tout ce que cela comporte de nos jours, et qu’il est interdit de contester. Par là, il révèle sa nature véritable. Celle d’un système totalitaire dominé par la gauche dont les valeurs et principes s’imposent à tous les partis, y compris ceux de la « droite républicaine », et qui élimine de plus en plus complètement de la scène politique, et même de tout débat public ceux qui les contestent, même partiellement. Le pluralisme politique n’est plus de mise aujourd’hui. De ce point de vue, le multipartisme actuel, en France, ressemble à celui de l’ancienne Allemagne de l’Est, où il existait des partis non communistes, mais obligatoirement alliés au parti communiste, et qui ne remettaient pas en cause le régime ni les principes marxistes l’inspirant.
Désormais, en France, la vérité révélée prévaut sur la liberté. Et la constitution, enrichie de tous les « acquis » sociétaux contemporains (en matière de droit à l’avortement et dans les domaines de la sexualité et de la famille, notamment), en est devenue la table de la Loi.
Le véritable rôle d’une constitution
Il importe ici de rappeler ce qu’est et ce que doit être une constitution dans tout État de droit. Une constitution énonce et garantit les libertés, mais ne les limite pas. Et la morale et la loi, elles, n’assignent de bornes à la liberté que le respect de la liberté et de la dignité et la sauvegarde des intérêts fondamentaux d’autrui. Mais en aucun cas, une constitution ne met la liberté – et les libertés – sous l’éteignoir, non plus que la morale ou la loi. La liberté et les droits des individus préexistent à toute constitution. À telle enseigne qu’on est libre de se sentir en désaccord avec tout ou partie de la constitution et de le dire publiquement. Une constitution peut être critiquée, tout comme les valeurs et principes qui l’inspirent et qu’elle énonce et garantit. Et ce d’autant plus que cette liberté de critique ne lèse les intérêts de personne et ne met pas en péril les institutions fondées sur ladite constitution.
Une constitution devenue une arme aux mains des maîtres du pouvoir
Or, depuis une décennie environ, la Constitution est entendue comme l’énoncé de valeurs et de principes irréfragables, et, qu’en outre, il est moralement (et juridiquement) interdit de contester, comme s’ils étaient des vérités révélées. On serait alors tenté de dire qu’elle joue le rôle d’un texte sacré Pourtant, la Constitution de la Ve République, celle qui étaie nos institutions et régit notre vie politique, a connu 24 révisions depuis sa rédaction initiale en 1958. Pour un texte présenté comme une référence morale et politique ultime, et ne souffrant aucune critique, cela fait beaucoup. Nos adversaires objecteront que lesdites révisions ne portaient pas sur les valeurs et principes fondant la constitution. Objection hautement contestable. Car la révision constitutionnelle en préparation (qui sera la 25e), à savoir la constitutionnalisation du droit à l’avortement, porte bien sur une question de valeur, en l’occurrence l’idée que l’on se fait ou que l’on doit se faire du respect de la vie. Et on sait que les rédacteurs de la constitution de 1958 ne partageaient pas, sur ce point, la conviction de ceux qui ont décidé de faire de la liberté d’avorter un droit constitutionnel, et auraient combattu cette initiative. Il en va de même de la révision constitutionnelle du 23 février 2007 qui inscrit l’abolition de la peine de mort dans la constitution. Ou des ajouts du 8 juillet 1999 destinés à souligner l’égalité entre les femmes et les hommes.
La constitution est devenue une arme de combat entre les mains de ceux qui veulent à toute force nous imposer la rupture d’avec notre civilisation, et l’avènement de leur meilleur des mondes, un Brave new World surveillé par la police de Big Brother. Et il en va de même des lois, décrets et autres mesures (tels les articles ajoutés au Code de la Sécurité, que nous évoquions plus haut) destinés à prévenir les « risques » de « provocation à la haine » par des interdictions de réunions et des dissolutions.
Aujourd’hui, le régime révèle sa nature totalitaire
Naguère, les adversaires du régime, du conformisme intellectuel, moral et politique, pouvaient se manifester sans courir de risques majeurs de répression. Ils avaient accès aux médias, disposaient d’une presse libre, et pouvaient se réunir et manifester dans « l’espace public ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La phase (approximativement) libérale de notre système politique s’achève. Une nouvelle phase commence, marquée par l’application autoritaire et implacable des idées subversives que nous avons mentionnées plus haut, lesquelles, nées des œuvres de la gauche et du gauchisme (toutes tendances confondues) se sont imposées depuis longtemps à toute la classe politique, aux « élites » et à la société entière.