France
Quand la gauche devient folle et envoûte toute la société
La mort apparente des idéologies. On évoque couramment la mort des idéologies. Et, de fait, celles du XXe siècle ont disparu.
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Ces dernières législatives ont été caractérisées par les erreurs de tous les protagonistes de notre vie politique : le président de la République, les dirigeants des partis de l’ « arc républicain » et le Rassemblement national. Les erreurs sont monnaie courante en politique. Mais elles sont le plus souvent le fait de personnalités précises, isolées, lors même qu’elles se révèlent lourdes de conséquences. L’originalité de la situation ayant découlé de l’initiative présidentielle de décider d’anticiper les législatives et de ses conséquences tient à ce qu’elle découle de la convergence d’une pluralité d’erreurs.
Jusqu’en juin de cette année, le paysage politique français comprenait trois blocs : la gauche radicale, autour de La France insoumise (LFI), du parti communiste et des écologistes (Les Ecologistes), la nébuleuse macronienne, englobant Renaissance, Horizons, le MODEM et l’UDI, et la droite populiste du Rassemblement national (RN), et deux partis ambivalents : Les Républicains (LR) et le parti socialiste (PS). Le pouvoir macronien commençait à vaciller sur ses bases, menacées par les oppositions respectives de la gauche et du Rassemblement national, heureusement pour lui mutuellement ennemies. La politique conduite sous le second quinquennat de Macron avait été impopulaire, et le gouvernement n’avait pu imposer sa réforme draconienne du régime des retraites qu’en multipliant les recours à l’article 49-3 de la constitution, permettant de considérer une loi comme adoptée au mépris des oppositions parlementaires, ces dernières ne pouvant le mettre en échec que par le vote majoritaire d’une motion de censure, initiative rendue impossible par l’incapacité des partis hostiles au ministère de s’entendre sur ce point. On pouvait prévoir que les législatives de 2027 se traduiraient par la défaite des macroniens de tout poil, pris en tenaille entre le bloc du RN et celui de la gauche.
Le seul espoir, pour les macroniens, d’éviter cette issue, résidait dans leur entente avec Les Républicains (LR), dont l’attitude, jusqu’alors avait louvoyé entre opposition et soutien occasionnel et limité au gouvernement, et avec les socialistes.
Ces derniers n’avaient, en effet, cessé de manifester leur volonté de rompre avec la NUPES qui, depuis les législatives de 2022, les associait à LFI, au parti communiste et aux écologistes. Réprouvant le programme politique irréaliste et populiste que LFI imposait à la NUPES, ils inclinaient à reprendre leur indépendance, et à renouer (tacitement) avec la politique sociale-libérale menée par Manuel Valls sous la présidence de François Hollande… laquelle ne différait guère de celle de Macron. Olivier Faure ne parvenait (et cela dure encore) à maintenir l’adhésion du PS au sein de la NUPES qu’en bravant, en son parti, une opposition conduite par Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy, représentant près de 50% des militants et des responsables socialistes. Une défection de ce dernier à l’égard de la NUPES était plausible, à terme. La NUPES semblait d’autant plus condamnée, qu’outre le PS, le parti communiste et les écologistes regimbaient contre la prééminence de LFI. Les macroniens pouvaient donc raisonnablement tabler, pour 2027, sur un rapprochement avec le PS libéré de la NUPES et les LR. Et ce d’autant plus qu’il n’existe entre ces trois formations aucune divergence fondamentale de vues ou de pratiques. Tout le monde sait que si le PS ou les LR exerçaient le pouvoir, nous aurions, à quelques nuances près, la même politique que celle de Macron. Les différences susceptibles de les distinguer les unes des autres n’intéressent que les politologues, les économistes et les journalistes spécialisés dans l’analyse des programmes des partis politiques. Et, concernant Les Écologistes, il existe des divergences entre les éco-féministes woke et fanatiques du style Sandrine Rousseau ou Léonor Moncond’huy, les pragmatiques modérés à la Jadot ou à la Karima Delli, et les opportunistes carriéristes comme Marine Tondelier et l’actuelle direction du parti.
Au printemps 2027, on pouvait donc avoir trois nouveaux blocs se partageant la totalité de la scène politique : une gauche associant LFI, le parti communiste et les écologistes extrémistes, un ensemble constitué par les macroniens (ou post-macroniens), LR et le PS, et le Rassemblement national. Et alors, le second de ces blocs pouvait espérer remporter la présidentielle et obtenir une majorité (certes courte et relative) à l’Assemblée nationale, à l’issue des législatives qui eussent suivi, la gauche et le RN étant incapables de s’unir pour faire tomber le gouvernement.
Quoique incertaine, cette perspective était envisageable, et se présentait comme la seule solution propre à maintenir au pouvoir les héritiers de Macron. Entre les européennes de 2024 et la présidentielle de 2027, la NUPES se serait inévitablement décomposée, et le PS et LR se seraient rapprochés des macroniens, certes difficilement, non sans heurts, à pas comptés, mais certainement.
D’aucuns, au sujet des raisons de la dissolution du 9 juin dernier, se contentent de l’hypothèse évidente suivant laquelle Macron a voulu arrêter net la progression des oppositions incarnées par le RN et la gauche, LFI en premier lieu. C’est évidemment juste, mais insuffisant. Le président de la République a aussi, selon toute vraisemblance, voulu précipiter l’évolution que nous venons d’évoquer, tendant à l’éclatement de la NUPES et au rapprochement graduel du PS et de LR avec les macroniens. Et, ce faisant, il a commis une erreur de stratégie. Laquelle a abouti au résultat inverse de celui qu’il attendait. La NUPES, mourante, a quasiment ressuscité sous la forme d’un Nouveau Front populaire (NFP), qui, pour contrer la stratégie macronienne de coup d’arrêt aux oppositions, a mis sous le boisseau toutes les divergences qui opposaient ses composantes. Le rapprochement du PS et des LR avec la mouvance macronienne ne pouvait être opéré que de manière très progressive, au terme d’un long processus de discussions, de mouvements internes au sein des partis concernés, et de péripéties. En cette année ,elle était prématurée ; ni le PS, ni les LR ne pouvaient conclure d’entente, même tacite et limitée, avec les macroniens ; il fallait laisser du temps au temps.
Le résultat de cette erreur de stratégie du président est aberrant. La France se retrouve avec un Nouveau Front populaire composé de partis qui, en fait, ne sont d’accord sur rien, mais restent unis pour combattre Macron auquel ils s’opposaient depuis 2017, et qui a refusé de leur confier le gouvernement malgré leur relative majorité au soir du 7 juillet dernier. Elle se retrouve avec un président et un ministère privés de toute majorité parlementaire et dépendant de la tolérance (provisoire) d’un Rassemblement national contre lequel toutes les formations politiques se sont liguées au nom de la défense de la République mais qui se trouve ainsi en position de force, voire d’arbitre, et auquel ils ont refusé toute présidence ou vice-présidence de commission à l’Assemblée nationale en dépit du fait qu’il est le parti disposant du plus grand nombre de députés, le NFP n’étant qu’une coalition hétéroclite dont, répétons-le, les composantes divergent sur tout et seraient bien incapables de gouverner ensemble durablement. C’est une véritable nef des fous, sans le génie de Sébastien Brant ou de Jérôme Bosch. Un navire démâté tenant à la fois du bateau ivre de Rimbaud et du radeau de la Méduse. Désireux d’arrêter net la progression des oppositions, Macron s’est mis et a mis le pays dans une situation politique aussi démentielle qu’inextricable.
Cela dit, ses adversaires sont tout autant que lui dupes de la situation engendrée par la dissolution de la précédente Assemblée, ainsi que de leurs propres erreurs. Le panneau du « front républicain », dans lequel les formations de gauche ont donné dès l’annonce des législatives anticipées, les a d’emblée condamnés à la contradiction et à l’impuissance. Le PS a dû ravaler sa critique de LFI et se ranger à ses côtés, tout comme, d’ailleurs, le parti communiste et les écologistes. Les partis de gauche ont ainsi élaboré un programme commun de gouvernement totalement artificiel et dénué de crédibilité, et conclu des alliances électorales de pure circonstance. Pire : tous les partis « républicains » ont conclu (à la hâte, qui plus est) des accords électoraux de « front républicain » contre le RN, au nom de la défense de la démocratie et des « valeurs de la République », dont ils savaient très bien que ce dernier ne les menaçait pas, jouant de la sorte un psychodrame jugé de bon aloi dans un pays censément né en 1789, et que notre classe politique et autres « élites » s’obstinent à présenter comme ayant donné au monde la liberté et les droits de l’homme. Ainsi, pour prétendument conjurer un danger inexistant, tous les partis de la droite « républicaine » et de la gauche se sont unis, alors que tout les opposait les uns aux autres, et qu’ils se savaient absolument incapables de pouvoir s’entendre, même sur un programme minimum de législature ou de gouvernement. Résultat : hors ceux du Rassemblement national, aucun député (à de rares exceptions près) et aucun groupe parlementaire n’a de légitimité démocratique. Sauf exception, les députés de gauche ont été élus grâce (au moins en partie) avec des voix de droite, et ceux de la droite « républicaine » l’ont été grâce à des voix de gauche. Sur l’injonction de tous ces partis, des électeurs de droite ont voté pour des candidats LFI ou communistes qu’ils considéraient comme les représentants des projets les plus lourds de catastrophes pour la France, cependant que des électeurs de gauche ont porté leurs suffrages sur des candidats macroniens, défenseurs (et co-auteurs pour ceux qui avaient déjà été élus en 2017 ou 2022) d’une politique sociale considérée par eux comme la pire des régressions et, en particulier, d’une réforme des retraites, qu’ils avaient combattue avec l’énergie du désespoir. Et, rappelons-le en passant, la prétendue légitimité du NFP est un mensonge ou une illusion dans la mesure où elle est on ne peut plus relative (178 sièges sur 577 !) et est constituée de partis en désaccord sur tout et incapables de gouverner de concert. Le NFP est promis à l’éclatement, mais, en attendant le PS et les écologistes modérés en sont prisonniers.
Quant au Rassemblement national, il a éprouvé là les limites de sa dédiabolisation. Car, à l’occasion des dernières législatives, il a été diabolisé avec le plus grand succès par ses ennemis, qui ont réussi à persuader une forte majorité d’électeurs de voter contre lui (fût-ce pour des partis qu’ils réprouvaient ordinairement) au nom de la défense de la démocratie.
Tous les partis ont été les victimes de leurs coupables stratégies. La plus coupable, et commune à tous les partis de « l’arc républicain », étant le choix de cet absurde « front républicain », dicté par l’implacable « politiquement correct » actuel, qui a complètement faussé le jeu démocratique normal et a abouti à l’élection d’une Assemblée nationale illégitime, ainsi qu’à l’impossibilité de former un gouvernement y disposant d’une assise. Ce front républicain est devenu un piège pour eux tous. Y compris pour le NFP qui se targue de sa toute relative majorité (qui n’assurerait aucune durée à un ministère issu de ses rangs) en oubliant délibérément qu’inclus dans ce fameux front républicain auquel un bon nombre de ses députés doivent leur siège, il ne peut se prévaloir de sa légitimité à exercer le pouvoir. Macron peut, non sans bon droit, justifier son refus de lui confier le gouvernement en arguant du fait que les dernières législatives ont opposé non pas les divers partis les uns aux autres ou la gauche et la droite, mais le front républicain (toutes tendances confondues) au RN, même si un tel argument est tout de même une échappatoire.
Décidément, ces législatives mettent en relief, de façon monumentale, l’absurdité pathologique de notre pratique politique et des prétendus principes qui l’étaient. Aucune démonstration théorique ne saurait mieux les récuser. Nous vivons en ce moment le résultat tragiquement concret des fantasmes auxquels ils ont donné lieu. Sous leur emprise et pour éviter un danger purement fantasmatique (celui d’une dictature mêlant fascisme et pétainisme), nous avons abouti à ce résultat on ne peut plus aberrant et démentiel d’être devenu un pays totalement ingouvernable. Un pays où le parti disposant du plus grand nombre de suffrages et de députés est marginalisé au sein de l’Assemblée nationale, et dirigé par un gouvernement qui, paradoxalement, dépend de lui (!), et ne dispose d’aucune majorité parlementaire. Oui, vraiment, le régime est complètement au bout du rouleau.