Son nom a longtemps été synonyme de terreur. Surnommé le « Napoléon Noir », Shaka Zoulou a établi un puissant empire au cours du XIXe siècle, révolutionné toute une partie de l’Afrique australe.
Sortie au cours de l’été, une série télévisée propose aux Africains de (re-)découvrir le destin incomparable d’un homme qui continue encore de fasciner des générations entières sur tout un continent. C’est l’événement de l’année, une série qui était très attendue par tous les habitants de l’Afrique australe. Lors de sa sortie, le 23 juin 2023, elle a rassemblé près de quatre millions de Sud-Africains, de Zimbabwéens, de Zambiens, de Namibiens, de Botswanais et encore bien d’autres nationalités devant la chaine de télévision DStv 16. Un véritable succès pour Shaka iLembe qui retrace la vie du premier empereur de la nation zouloue, dont le nom a été redouté par tous durant la première moitié du XIXe siècle et dont l’héritage perdure encore dans le subconscient des Africains. Une vie qui a été déclinée sous divers formats, du cinéma aux livres en passant par la bande dessinée. Un destin hors-norme symbolisé par une statue qui trône fièrement devant l’aéroport international King Shaka situé dans la province du Kwazulu qui a vu naître ce guerrier, surnommé « Le Napoléon noir » par les Européens.
Assimilation et tyrannie
C’est en 1787 que Shaka kaSenzangakhona voit le jour. Fils du roi zoulou Senzangakhona kaJama et de Nandi kaBhebhe eLangeni, sa naissance hors-mariage fait la joie de ses parents mais n’en reste pas moins marquée par le sceau de l’illégitimité. Durant son enfance, Shaka (« petite crevette ») va souffrir de ce statut qui le prive d’un trône auquel il estime avoir droit. Autour de lui, on murmure. Une prophétie affirme que « naîtra de lui un nouvel ordre et une nation ». Constamment humilié par le reste de la fratrie, il regarde les relations entre ses parents se détériorer. Deux caractères forts qui vont très rapidement passer de l’amour à la haine. Prenant Shaka et sa fille Nomcube avec elle, Nandi fuit le kraal (village) de Senzangakhona par une nuit sombre. Elle va échapper aux assassins lancés à ses trousses et, après quelques mésaventures, se réfugie avec sa famille dans le royaume Mthethwa dirigé par le chef Dingiswayo qui leur offre assistance. C’est dans cette petite royauté traditionnelle que Shaka va révéler tout son potentiel militaire et devenir l’un des meilleurs guerriers de son protecteur, ruminant patiemment sa vengeance. Charismatique, discipliné, il impose ses vues du haut de sa stature athlétique. Lorsque son père meurt en 1816, il se rend au kraal de son père et réclame son dû à son demi-frère Sigujana kaSenzangakhona. L’affrontement est violent et Shaka porte le coup de grâce en le poignardant. Le voilà désormais à la tête du clan Zoulou, une tribu qu’il va profondément transformer à la suite d’un autre événement marquant de sa vie.
Un après son accession au trône, Dingiswayo (dont il est le vassal) est assassiné. La guerre civile qui éclate tournera à l’avantage de Shaka. Ivre de colère, il se rue vers le village du meurtrier qui est en fuite. Il trouve la mère de ce dernier, une sangoma (sorcière), dans sa hutte. Il ordonne alors qu’elle y soit enfermée avec une horde de chacals et de hyènes affamées. Elle sera dévorée vivante et ce qu’il en reste sera brûlé. Il poursuivra l’assassin de Dingiswayo jusqu’en 1825 avant de le battre définitivement près de la rivière Phongola. Shaka décide de mettre en place une politique d’assimilation brutale, absorbant toutes les tribus sous sa férule, leur imposant le zoulou comme seule langue tribale. Il crée une armée de métier dont l’entraînement sera spartiate (ils sont contraints à marcher pieds nus sur de longues distances) et dont les régiments (impis) sont toujours mobilisables en un temps record. C’est un vrai stratège qui va fondre sur ses ennemis, les contraignant à s’enfuir dans l’intérieur des terres ou dans les montagnes. C’est l’épisode du Mfecane (« le dérangement »). C’est toute l’Afrique australe qui vibre aux pas des guerriers zoulous, l’ethnie devenue la plus puissante du continent africain austral.
Le règne de Shaka Zoulou va peu à peu sombrer dans la tyrannie. Lorsque sa mère décède en 1827, sa tristesse est à la hauteur de sa légende. Fou de rage, il fait exécuter 7000 personnes qu’il accuse de ne pas être assez impliquées par son chagrin (une version affirme qu’il aurait tué lui-même sa mère qui tentait de le raisonner), interdit aux époux de vivre ensemble et de boire du lait durant un an. Jamais deuil ne sera aussi long pour celle que l’histoire a surnommée la « Grande Eléphante ». Ses rapports avec les Européens sont autant empreints de fascination que de méfiance. Il les autorise à s’établir sur les côtes, vers Port-Natal (future Durban), et va nouer une amitié personnelle avec le médecin britannique Henry Francis Fynn (1803-1861) qui fera souche parmi les Zoulous. Son pouvoir de plus en plus autoritaire coïncide avec la multiplication des complots contre lui. En 1828, celui organisé au sein de sa famille met brutalement fin à l’épopée d’un homme dont l’héritage culturel militaire et social reste encore controversé de nos jours. En effet, pour nos contemporains, Shaka Zoulou reste une figure ambiguë dans la tradition orale africaine, tantôt vu comme le bâtisseur héroïque d’une nation protéiforme, tantôt comme un monstre dépravé. Il n’en demeure pas moins que son génie a contribué à fédérer une tribu qui s’imposera magistralement sur les Européens lors de la bataille d’Isandhlwana en 1879 avant que son empire ne soit finalement démantelé.
Plus fort que le Wakanda
C’est en 1986 que l’Afrique (plus tard la France, grâce à la chaîne de télévision La Cinq) redécouvre le destin de ce héros du panthéon africain. Produite en dix épisodes, avec le joueur de football Heny Cele dans le rôle phare, la série Shaka Zulu est un succès qui dépasse le continent. Même si elle n’échappe pas aux critiques de certains quotidiens étrangers qui lui reprochent d’avoir reçu des subsides du gouvernement d’apartheid, la série va renforcer la légende de ce monarque et de ses guerriers. Les Zoulous, un peuple de dix millions de personnes, restent encore craints de tous aujourd’hui. Lors de la guerre civile au Congo dans les années 1990, une milice reprendra le nom de cette tribu et restera dans les annales pour ses nombreuses violences. Avec Shaka Ilembe, c’est une seconde virginité que s’offre le fils de Senzangakhona kaJama. Six ans de tournage (exclusivement en langues zoulou et anglaise) qui ont mobilisé une pléiade d’historiens, d’écrivains ou de princes de la maison royale comme le défunt roi Goodwill Zwelithini ou encore le prince Mangosuthu Buthelezi, actuel Premier ministre du royaume zoulou. Une superproduction qui a permis la création de 9 000 emplois, des milliers d’acteurs et figurants engagés et « une réalisation impressionnante dans ce qui est possible pour le cinéma sud-africain » d’après le critique de télévision Thinus Ferreria.
« Pour Shaka iLembe, notre vision était de raconter une histoire africaine épique à grande échelle, et avec la profondeur et la finesse qui ne peuvent provenir que d’un investissement substantiel. Cet univers de narration est profondément affirmatif, car il s’aligne sur notre compréhension de l’appétit du marché pour ce type de contenu » a expliqué Nomsa Philiso qui produit la série de douze épisodes. « C’est une histoire qui se construit image par image, scène par scène, épisode par épisode. Des stars comme Thembinkosi Mthembu, Hope Mbhele, Mondli Makhoba et Lemogang Tsipa sont encore à voir. Ainsi, dans chaque épisode à venir, les fans peuvent s’attendre à un autre chapitre de cette histoire remarquable à révéler. Nous voulons […] rendre justice à l’incroyable soutien dont Shaka iLembe bénéficie à travers l’Afrique du Sud et australe » ajoute-t-elle, se défendant d’avoir fait un remake de la série précédente. « Shaka iLembe n’est pas du tout un remake. Vous trouverez de nouveaux personnages, de nouvelles intrigues amoureuses, des représentations de scènes de guerre et de batailles, des complots…, c’est raconté de la manière la plus authentique ».
« Il s’agit de montrer à nos futures générations quelle est leur histoire et d’où ils et elles viennent. » Une série prometteuse, sans la moindre pudeur tant la nudité y est montrée sans complexe, dont on ne sait pas encore si elle sera disponible en Europe. Une histoire épique qui risque de faire parler d’elle au sein de la diaspora africaine en recherche constante de figures héroïques à ériger comme symbole du panafricanisme.