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Le Jugement des flèches

Voilà un western qui donne matière à réflexion sans pour autant sacrifier la loi du genre grâce à une action fluide, un rythme soutenu et un scénario intelligent – signé, ici, par Samuel Fuller, le réalisateur –, le tout cadré dans les somptueux paysages arides du plateau du Colorado – dont les vastes étendues sont parfaitement rendues par le format RKO-Scope (concurrent du Cinémascope) qui occupe tout l’écran, sans oublier un Technicolor de toute beauté accentuant l’aspect grandiose de l’ensemble, notamment lors de l’assaut final des Sioux contre le fort militaire.

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Le Jugement des flèches

Le grand Samuel Fuller (1912-1997) avait déjà à son actif quelques chefs-d’œuvre tels J’ai tué Jesse James (1949), Le Baron de l’Arizona (1950), Le Port de la drogue (1953) ou La Maison de Bambou (1955). La même année que Le Jugement des flèches (Run of the Arrow, 1957 ; ici, le titre original, est particulièrement explicite, ainsi qu’on va le voir), Fuller tourne Quarante tueurs, son ultime western, aussi « brutal et sauvage » (dixit Jean-Luc Godard) que Le Jugement apparaît comme un récit à la fois philosophique et ethnographique. Rod Steiger (Le Docteur Jivago, Main basse sur la ville, Le Refroidisseur de dames…) campe le soldat O’Meara qui, le 9 avril 1865, le jour même où le général Lee accomplit la reddition des troupes sudistes devant le général Grant à Appomatox, blesse le lieutenant Driscoll (Ralph Meeker), un nordiste qu’il fait aussitôt soigner. Revenu parmi les siens, amer et dévoré de honte par la défaite humiliante de son camp, il décide de partir vivre avec les Indiens. Capturé par les Sioux, il est soumis au rituel de la course de la flèche : un Indien décoche une flèche qui atterrit au sol ; le captif se met à courir une fois qu’il a atteint celle-ci, alors poursuivi jusqu’à la mort par celui qui a tiré la flèche. En cours de route, blessé, il est recueilli par Yellow Mocassin (la ravissante Sarita Montiel, première femme d’Anthony Mann, actrice de films chantés comme La Violetera, en 1958, qui connaîtra un succès mondial). Il se fait adopter par les Sioux et, après le mélange des sangs, épouse cette dernière.

Tester sa fidélité à l’égard de sa nouvelle nation

Nuage Rouge, le chef suprême des tribus Sioux, accepte de voir implanter sur son territoire le Fort Lincoln, son érection devant impérativement se faire loin des réserves giboyeuses de bisons. O’Meara accompagne l’armée pour garantir l’accord. Mais, des deux côtés, l’on s’acharne à vouloir déterrer la hache de guerre… Pour O’Meara c’est l’épreuve capitale pour tester sa fidélité à l’égard de sa nouvelle nation. Déjà, lors de son baptême, revendiquait-il de conserver la religion de ses pères, s’attirant cette réplique de Blue Buffalo (incarné par un Charles Bronson athlétique promis à une belle carrière) : « Nous respectons celui qui respecte ses croyances. […] Nous avons le même dieu, seul son nom diffère ». Mais ce chrétien Irlandais de vieille souche n’en cultive pas moins la haine et le ressentiment. En réalité, personne, ni du côté des Indiens, ni de celui des Yankees, ne croit à son attachement à sa nouvelle patrie. Tandis qu’il remâche, buté et obtus, la prétendue trahison du général Lee, le capitaine Clark, homme sage et profond, qui l’écoute avec bienveillance, lui lance : « la capitulation de Lee ne fut pas la mort du Sud, mais la naissance des États-Unis ». Plus tard, face à son peuple adoptif, sa loyauté Sioux sera mise en défaut, y compris par sa nouvelle épouse. Alors qu’il ne cesse de clamer (comme pour s’en persuader) « je suis Sioux », cette dernière lui avoue qu’elle-même et ses compatriotes ont, très tôt, vu clair dans sa véritable motivation à se faire naturaliser : « l’es-tu vraiment ? Tu appartiens à deux pays. Tu n’arriveras pas à tuer des Américains. Que tu les tues ou non, tu seras toujours un Sioux malheureux. Un homme doit vivre avec sa conscience. […] Tu es né Américain, tu mourras Américain ». Le conflit de loyauté est éventé. L’on voit tout le talent et la finesse de Fuller qui, sans pathos, ni moralisme ou manichéisme, parvient à traiter des sujets aussi délicats que le racisme et le patriotisme. Film pro-Indiens dans la lignée de La Flèche brisée (Delmer Daves, 1950), il réussit la gageure de ne pas sombrer dans la caricature en traitant avec justesse et équanimité de la « guerre entre États », ainsi qu’on dénomme officiellement, outre-Atlantique, cette Civil War que l’on appelle chez nous Guerre de Sécession. Selon Samuel Fuller, qui employa de vrais Indiens descendants de Sitting Bull et de Red Cloud (à l’exception du Mexicain Franck De Cova interprétant… Red Cloud), ceux-ci avaient beaucoup aimé le film qui les traitait en hommes d’honneur et en guerriers valeureux.

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