Tribunes
Les autos tamponnantes
Les Français ont bien de la chance : ils n’ont pas de mémoire. Doivent-ils ce bonheur à l’Éducation nationale pour qui la mémoire est l’apanage des imbéciles ?
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Nous adorons avoir peur. Nous lisons avec frénésie des thrillers, ou pour le dire en patois : des frissonneurs. Nous courons au cinéma voir des frissonneurs, ce qui nous permet de pousser de voluptueux hurlements de terreur et de nous jeter en tremblant sur l’épaule du voisin, qui fait autant de son côté et ainsi de suite.
Nos gouvernants, c’est-à-dire les politiques, les ultra-friqués qui tirent les ficelles des politiques, les médias qui cancanent la bonne parole, nos gouvernants donc, dans leur extrême bienveillance, sollicitude et bonté, ont trouvé qu’il y avait d’autres moyens que culturels, que la littérature et le cinéma, pour procurer de la peur à ceux qui en réclament, comme jadis ils réclamaient panem et circenses.
Il y a la peur délicieusement causée par le réchauffement climatique. Grâce à elle, nous savons que la fin du monde est proche et que la mer, gonflée par le rétrécissement phénoménal de la calotte glaciaire, va engloutir toutes nos villes côtières et même plus loin. Nous avons beau voir que depuis cinquante ans la mer est toujours au même endroit, nous frissonnons, nous ne dormons plus la nuit, la terreur est bien là.
Il y a la peur plus récente du covid. Nous avons beau savoir que la plupart du temps le covid tue ceux qui étaient en train de mourir, nous frissonnons quand même, nous portons des masques, tout seuls, en plein champ ; les hérons sur leurs hautes pattes nous prennent pour des Barbe-bleue.
Mais tout cela commençait à s’user, nous avons eu droit ensuite aux pannes d’électricité. Nous avons beau savoir qu’elles dureront deux heures à tout casser, ce qui est insuffisant pour permettre aux surgelés de dégeler et aux thermomètres d’intérieur de perdre beaucoup de degrés, nous hurlons de terreur. Devoir s’éclairer à la bougie, ce qui donnerait de jolis effets à la Georges de la Tour, nous paraît un horrible retour au temps où les hommes étaient vêtus de peaux de bête. Certains disent que cette peur-là est tout de même réelle et que ces pannes sont dues à l’imprévoyance de nos gouvernants. L’imprévoyance est le fait des artistes, non ? Nos gouvernants, qu’on croyait de froids technocrates, sont des artistes, mieux que Minier, Chattam et Spielberg réunis. Hélas, ce dernier frisson semble avoir été de courte durée.