Ce printemps a marqué le huitième centenaire de la naissance, le 25 avril 1214 à Poissy, de Louis IX, canonisé en 1297 par Boniface VIII, pourtant peu favorable aux intérêts français. Cet anniversaire n’a pas fait grand bruit ni entraîné de cérémonies officielles où ministres et Président de la République, grands amateurs de commémorations, se seraient pavanés. Il est vrai que le contraste eût été douloureux entre leurs gesticulations dérisoires et la figure du saint roi.
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Louis a douze ans, âge de la majorité royale, quand son père, Louis VIII, meurt, jeune, en 1228. La régence est confiée à la reine, Blanche de Castille. Mère de dix enfants dont six ont survécu, Blanche pourrait sembler désarmée face aux complots de la noblesse, désireuse de secouer le joug imposé par son beau-père, Philippe II. En fait, ferme et décidée, diplomate avisée, Blanche se révèle redoutable politique et parvient à garantir à son fils les conquêtes politiques de son aïeul.
Cependant, c’est avant tout dans son rôle d’éducatrice que Blanche s’impose, transmettant à ses enfants sa haute conception de leur devoir chrétien : « J’aimerais mieux vous voir morts qu’en état de péché mortel. » leur dit-elle.
En 1234, Louis épouse l’une des filles du comte de Provence, Marguerite, union dynastique devenue amour conjugal passionné dont neuf enfants naîtront. Cas presque unique dans l’histoire de la monarchie française, il restera fidèle à sa femme, et cette singularité pèsera dans la décision de le canoniser.
Bon époux et bon père, Louis est d’abord et avant tout le roi, pénétré de ses obligations. Guerroyer en fait partie ; il l’assume.
En 1242, s’immisçant dans la querelle qui oppose son beau-père Lusignan au roi de France, Henry III d’Angleterre débarque sur le continent ; Louis l’écrase les 21 et 22 juillet à Taillebourg puis à Saintes mais, loin d’en profiter pour dépouiller son vassal anglais de ses terres d’Aquitaine, préférant le bien commun à ses intérêts personnels, il choisit de négocier, ce qui se soldera en 1258 par la signature d’un traité de paix peu favorable à la France mais qui semble, en satisfaisant les exigences anglaises, couper court à tout prétexte à conflit dans l’avenir. Choix admirable, mais erreur politique car l’Angleterre relancera la guerre à la première occasion…
La faiblesse de Saint Louis
Là se situe, à vues humaines, la faiblesse de Louis : croire l’humanité meilleure qu’elle n’est et prêter au prochain ses propres vertus. En 1268, après que le roi a publié une législation interdisant la prostitution, l’ivrognerie, le jeu, le pape Clément VIII, moins naïf, lui demande d’y renoncer : le vice ne se supprime pas par décret ; il lui demande aussi de supprimer les peines corporelles infligées aux blasphémateurs. Louis, étonné, dira préférer, pour sa part, se brûler lui-même les lèvres au fer rouge, comme la loi le prévoit, plutôt qu’insulter le Seigneur. Ce choix laisse rêveurs ses proches. On connaît le mot du sire de Joinville, entendant le roi dire qu’il aimerait « mieux être lépreux que commettre un seul péché mortel », et qui réplique : « Pour ma part, Sire, j’aimerais mieux commettre dix péchés mortels ! »
Au vrai, le roi a la certitude que, sans un effort collectif vers la sainteté des Français et des Chrétiens, sans conversion sincère et générale, effort dont sa famille et lui-même doivent donner l’exemple, il sera impossible de conjurer les maux qui menacent la catholicité, qu’il s’agisse du redressement du monde musulman, fatal au royaume latin d’Orient, ou du péril mongol dont on redoute alors qu’il atteigne l’Europe après avoir dévasté l’Asie.
Louis obtempère pourtant, en ce domaine strictement moral en tout cas, aux désirs de Rome. Dans le domaine politique, en revanche, il défend fermement les prérogatives de la monarchie française afin de mettre la couronne et ses peuples à l’abri des abus d’évêques et souverains pontifes qui font parfois de l’excommunication et de l’interdit des moyens de pression destinés à infléchir les choix de la France. Jamais il ne confondra temporel et spirituel.
Lieutenant de Dieu sur terre, Louis sait que son royaume appartient au Christ. Antique certitude de la monarchie française qu’il illustre en rachetant, en 1238, la sainte couronne d’épines, mise en gages par l’empereur Baudouin II de Constantinople, à bout de ressources. L’insigne relique arrive à Paris en août 1239. Le roi, accompagné de ses frères, Robert d’Artois, Alphonse de Poitiers et Charles d’Anjou, pieds nus et en chemise, la porte jusqu’à Notre-Dame, en attendant d’élever pour elle, au cœur de son palais, un reliquaire sans égal, la Sainte Chapelle.
L’acquisition de la sainte couronne répond au vœu secret du roi de se croiser afin de délivrer les lieux saints. Vœu toujours remis du fait des circonstances extérieures. En 1244, Louis tombe très gravement malade ; un moment, on le croit mort. Quand il sort du coma, tenant ce retour à la vie pour un miracle, il prend la croix. Une croisade ne s’improvisant pas, ce n’est qu’en mai 1249 que Louis embarque d’Aigues-Mortes vers l’Égypte. Conscient des échecs précédents, entre autres ceux de Louis VII et Philippe Auguste, qu’il attribue à une impréparation morale et mystique, Louis IX, avant de partir, a voulu réparer les torts de la couronne, et lancé une vaste réforme destinée à éradiquer les abus et améliorer la justice, qu’il rend lui-même, sous un chêne de son château de Vincennes.
La perte de son frère
Hélas, dès le débarquement près de Damiette, la croisade est mal engagée. Le retard des renforts donne aux Musulmans le temps de couper la route du Caire. Malgré la crue du Nil, et l’avis des Templiers qui conseillent d’attaquer Alexandrie, Louis se porte vers la forteresse de Mansourah, emportée par son frère Artois le 8 février 1250. Cette victoire est un piège. Coincés dans la ville, le prince et les siens sont massacrés. Il faut tout l’héroïsme de Louis pour permettre au reste de l’armée de retraiter en bon ordre. « Où est mon frère ? » demande-t-il, au soir du désastre, au Grand Maître de l’Hôpital : « Sire, en paradis, s’il plaît à Dieu… » Joinville, l’ami intime du roi, son futur chroniqueur, admirateur éperdu d’une sainteté dont il avoue qu’elle le dépasse, l’entend répondre : « Que Dieu soit adoré en toutes Ses volontés. » mais « tout en disant cela, les larmes lui coulaient, moult grosses. »
Car la sainteté de Louis n’exclut ni les faiblesses humaines, ni l’angoisse, ni le chagrin.
Fait prisonnier au mois d’avril suivant, le roi recouvre la liberté contre une rançon énorme. D’autres oublieraient la Terre Sainte. Pas lui. Il a échoué faute de s’être assez préparé. Il ne méritait pas de libérer le Tombeau du Christ. De retour en France, il se mortifie de plus belle. En juillet 1270, Louis repart combattre l’Islam. Cette fois, il débarque près de Tunis, et y rend l’âme, le 25 août, victime de la peste. Aux derniers instants, le puissant roi de France demande à être étendu sur un lit de cendres, humilité suprême. Conscient de son échec humain et trop humble pour mesurer que cette défaite apparente jette une gloire éternelle sur son règne, sa lignée, son pays et son peuple.
Louis IX, fidèle à l’exemple de ses aïeux, a mené une politique capétienne classique aux fruits bénéfiques, tant dans le royaume – paix civile, affermissement de la puissance royale, correction des abus, amélioration des conditions de vie – qu’en Europe où il put se poser en arbitre face à l’Aragon, l’Angleterre ou l’Empire. Mais la leçon qu’il laisse est d’un autre ordre. Elle resitue les priorités du pouvoir face aux véritables valeurs. Le pragmatisme, le matérialisme en train de s’insinuer dans la société du XIIIe siècle, Louis n’y est pas aveugle. S’il se refuse à les prendre en considération, par exemple face à Henry III d’Angleterre qu’il crédite d’un esprit chevaleresque équivalent au sien, ce n’est pas sottise de sa part mais certitude que la loi divine l’emporte sur les intérêts humains et qu’il faut prendre des risques pour la faire triompher.
S’il serait vain d’espérer voir nos actuels gouvernants s’engager sur cette voie mystique, faute d’y rien comprendre, il n’est pas interdit de croire que les Français, eux, pourraient, un jour ou l’autre, se reprendre à la suivre.
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