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La majorité au risque du 49.3 ?

La Constitution de 1958 veut que l’exécutif puisse agir : l’article 49.3 préserve sa capacité d’action malgré le Parlement. Et tout est fait pour préserver la majorité présidentielle, quand bien même elle n’est pas absolue.

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La majorité au risque du 49.3 ?

Depuis juin dernier, l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale a remis la question de l’adoption de la motion de censure sur le tapis, tout en révélant les risques de la majorité simple du groupe soutenant l’action du président de la République. En effet, il n’existe plus de groupe ou d’alliance détenant la majorité absolue : l’addition des différents groupes macronistes (le groupe Renaissance, le groupe Démocrate – MoDem et indépendants – et le groupe Horizons et apparentés) ne totalise au mieux que 250 députés. Or la majorité absolue est constituée de 289 députés. Pour les autorités, c’est un véritable casse-tête qui rend ainsi difficile l’adoption des textes, avec le spectre de l’adoption d’une motion de censure. Certes, les oppositions – les Insoumis, les Républicains, le Rassemblement national, les écologistes et les communistes – sont divisées et trop hétérogènes sans former non plus de leur côté une majorité absolue, même si l’on pourrait parler de majorité absolue négative : une majorité absolue qui peut davantage empêcher que permettre. Les différentes motions de censure déposées depuis la rentrée 2022 n’ont pas été en mesure de recueillir l’adhésion d’une majorité absolue de députés, les Insoumis ou le Rassemblement national n’attirant pas les autres groupes qui ne veulent pas se compromettre à l’instar des députés du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale.

L’arme du 49.3 : aider les majorités fragiles, mais aussi dompter les majorités indociles

Dans cette situation compliquée, mais pas aussi inédite qu’on le pense, il existe des dispositifs qui visent à aider l’exécutif confronté à la perspective d’une Assemblée nationale hostile. En 1958, le pouvoir gaulliste n’avait à l’Assemblée nationale qu’un groupe minoritaire (les députés de l’UNR), qui ne put aider le Général qu’avec l’appui des autres partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. C’est aussi dans ce contexte compliqué, où le général de Gaulle entendait aussi composer avec l’ancien monde, que le législateur de 1958 introduisit dans la Constitution plusieurs dispositifs destinés à préserver l’action de l’exécutif dans l’hypothèse d’une majorité hostile à l’Assemblée nationale, soit en facilitant l’adoption des textes (le vote bloqué ou la législation par ordonnance), soit en rendant plus difficile la mise en jeu de sa responsabilité (l’adoption de la motion de censure soumise à certains critères), soit tout simplement en insérant dans le texte un dispositif conjuguant les deux techniques précédentes : l’article 49, alinéa 3 de la Constitution. Ce mécanisme permet au gouvernement d’adopter un texte engageant sa responsabilité. C’est quitte ou double : si la motion de censure est votée, non seulement le texte est rejeté, mais le gouvernement est renversé ; inversement, si la motion de censure est écartée, le texte est alors considéré comme adopté. Le 49.3 a été utilisé à différentes reprises, notamment sous le gouvernement Rocard, qui ne disposait pas à l’Assemblée nationale de majorité absolue à l’issue des élections législatives de juin 1988. Le 49.3 n’a guère eu bonne presse. Destiné à protéger des majorités fragiles, il a aussi tendu à contourner les humeurs de la majorité en place. Préférant éviter l’enlisement d’une discussion avec des députés peu dociles, plusieurs gouvernements ont eu recours à ce dispositif pour préserver la cohésion de leur propre majorité. Des députés « frondeurs » ne prendront pas le risque de voter contre leur propre gouvernement… Mais les critiques contre cet instrument n’ont pas cessé depuis 1958. En 2007, au cours de la campagne présidentielle, il avait été proposé de limiter l’usage de ce mécanisme. Ce qui fut obtenu par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui, sur ce point, limita ce dispositif au vote des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Pour les textes de nature non financière, le 49, al. 3 est restreint à un seul texte par session. Autant dire qu’il faudra bien choisir le texte pour cette arme à usage unique. Si Nicolas Sarkozy avait souhaité limiter un instrument qui affaiblit l’Assemblée nationale, il raisonnait aussi dans la perspective d’un fait majoritaire durablement acquis : tout président de la République élu ou réélu étant « conforté » par une majorité à l’Assemblée nationale. Or la réélection d’Emmanuel Macron en mai dernier n’a pas débouché sur une vague macroniste aux législatives. C’est le moins qu’on puisse dire. On peut même s’étonner de la naïveté de Nicolas Sarkozy qui, en 2008, avait cru pérenne ce fait majoritaire (pensait-il faire deux mandats dans ce contexte déjà marqué par l’hyper-présidentialisation ?). Comme si la Constitution n’avait pas vocation à envisager des aléas défavorables. Or l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale en juin 2022 après la réélection d’Emmanuel Macron démontre que la situation du chef de l’État sans majorité absolue n’est pas un cas hypothétique.

Une majorité protégée par le jeu des majorités consolidées

Mais un autre aspect est révélé par le 49.3. En effet, s’il conduit à l’adoption d’un texte sans vote par le jeu de la motion de censure écartée, il démontre aussi la solidité des critères qui prévalent pour l’adoption de cette dernière. Parlementarisme rationalisé oblige, le constituant de 1958 avait, dans le sillage de la constitution de 1946, soumis l’adoption d’une motion de censure à des conditions strictes. En effet, l’adoption suppose une majorité absolue de députés et non de suffrages exprimés. Ce calcul sur la base du nombre de députés rend difficile – et de fait impossible – l’adoption de cette motion de censure. Avec le nombre actuel de députés à l’Assemblée nationale (577), il faut une majorité de 289 suffrages. Cela supposerait non seulement la totalité des suffrages exprimés par les groupes d’opposition, mais aussi une fissure au sein du groupe majoritaire, même si les groupes qui soutiennent la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale (les macronistes et le MoDem) n’ont plus de majorité absolue depuis juin 2022. Or à l’exception du 4 octobre 1962, aucune motion de censure n’a été adoptée. Même en juin 1992, une motion de censure déposée contre la politique agricole du gouvernement Bérégovoy manqua de trois voix le seuil fatidique : 286 voix sur les 289 requises.

Une Constitution qui protège les majorités fragiles

Mais si certaines modifications du texte constitutionnel entreprises en 2008 ont été malheureuses (on peut citer la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux mandats successifs), d’autres tendent à avoir un effet plus protecteur. À ce titre, le seuil des trois cinquièmes des suffrages requis pour le rejet d’une nomination présidentielle à une fonction considérée comme importante « pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation » (Constitution, art. 13, al.5) complique le rejet d’une candidature proposée par le président de la République, même quand le candidat est contesté. Ainsi, récemment, Boris Ravignon, nouveau président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) en a bénéficié : sa candidature a été rejetée par une majorité de sénateurs et députés, mais sans atteindre la majorité qualifiée des trois cinquièmes. Bref, les institutions de la Ve République, malgré la dénaturation sarkozyenne, restent paradoxalement protectrices pour une majorité présidentielle sans majorité absolue à l’Assemblée nationale. 

 

Illustration : « À dix reprises, vous avez tenté de faire tomber le gouvernement ; à dix reprises, vous avez échoué ; et à dix reprises vous avez fait l’éclatante démonstration de ce que nous savions tous : vous n’avez pas la majorité ». Elisabeth Borne, recordwoman du 49.3, aux députés LFI.

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