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Institutions : A la recherche du politique perdu

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Institutions : A la recherche du politique perdu

Sans rien connaître à la médecine, chacun sait que l’homme de l’art qui se trouve devant un grand blessé a le choix entre deux options : les cautères, pommades et onguents qui calmeront un peu sa douleur et lui permettront de mourir plus doucement ; ou l’opération lourde, incertaine, risquée, mais qui peut lui sauver la vie.

Il en va de même dans l’ordre politique. En ce qui concerne la France, on pourrait certes énumérer les nombreuses réformes « faisables », susceptibles d’améliorer le système à la marge – et de lui procurer l’apparence d’une rémission : l’amélioration de la composition du Conseil constitutionnel, la suppression du cumul des mandats, l’introduction de la proportionnelle ou l’abolition de l’article 89-3 qui permet au Congrès de réviser la constitution à  out bout de champ. Autant de réformes techniquement réalisables, sans doute bienvenues – mais strictement capillaires. Dérisoires, au regard de la crise du politique et des menaces qui pèsent sur l’existence même de la France.

L’état : une dispendieuse fiction

Depuis les débuts de son histoire, celle-ci est à la fois un État et une société, qui ne se confondent pas mais marchent côte à côte, l’état ayant contribué à façonner la société, à la faire vivre et durer, cette dernière, de son côté, ayant toujours participé, selon des modalités variables, au fonctionnement de l’État – au point que son consentement constitue l’un des critères de sa légitimité. Or, tout cela part à vau-l’eau.

L’État renonce, morceau par morceau, à sa propre souveraineté, acceptant de se fondre dans un ensemble fédéral au sein duquel sa nature étatique ne sera plus que virtuelle. Sur un autre plan, il laisse se disloquer les structures mises en place avec la Ve république – ces institutions qui lui avaient permis de tenir son rang pendant plus d’un demi-siècle, et d’échapper à un déclin qui, au vu des républiques précédentes, semblait pourtant fatal. Quant à la société, elle ne sait plus où elle en est ni où elle va – emportée par les turbulences de la mondialisation, brisée par l’horreur économique, secouée jusqu’aux tréfonds par des réformes sociétales qui, au nom du Progrès, achèvent de saper ses fondements et de défaire son identité.

Une société qui ne sait plus ce qu’elle veut – mais qui a le sentiment de n’avoir plus son mot à dire sur les affaires qui la concernent car ceux qui décident sont ailleurs, et que l’état, qui la protégeait depuis des siècles, qui se battait pour elle et tentait d’assurer le bien commun, n’est plus qu’une dispendieuse fiction. Un « machin » qui ne sert plus à grand-chose, sinon à accélérer l’implosion générale, tout en coûtant de plus en plus cher.

C’est devant la gravité de ces blessures que l’on peut songer à une opération chirurgicale. Celle-ci, à vrai dire, ne consisterait pas à farfouiller au hasard dans les entrailles du patient, mais à reprendre en l’accentuant la solution proposée lors de la création de la Ve république – qui se résumait en deux points : démocratisation et monarchisation. Les républiques et le roi, en somme.

La monarchisation initiée en 1958 consistait à placer au sommet de l’État « un chef qui en soit un », intervenant lors des moments majeurs de la vie de la cité, et apte à décider quand l’essentiel est en jeu. Ce monarque, dont le rôle est celui d’un arbitre et d’un garant, a pu jouer son rôle tant qu’il a bénéficié d’un mandat suffisamment long, qui lui permettait de mener une politique à long terme et de se maintenir au-dessus des partis ; depuis les années 2000, le raccourcissement du mandat, l’évolution partitocratique du régime et la volonté de restaurer le Parlement ont fini par remettre en cause cette innovation salutaire. Et c’est ainsi qu’on est passé du roi fainéant, Chirac II, à l’hyperprésident Sarkozy puis à l’improbable « président normal », Hollande, tous également pressés par le temps, embourbés dans le jeu des partis et incapables de se concevoir comme le chef de tous les Français. Le personnage s’est ainsi rétréci en même temps que son mandat, au point de ne plus représenter grand-chose. D’où l’intérêt de songer à une remonarchisation, et pourquoi pas, à cette restauration monarchique à laquelle De Gaulle avouait avoir souvent pensé.

Un monarque incarnant la continuité

Si on laisse de côté – pour l’instant – la question du prétendant et de la réalisation concrète, le fait est que l’idée se défend bien. Confier à un roi, héréditaire et donc indépendant des partis, le rôle de garantir l’essentiel, de défendre ce qui s’inscrit dans la durée et qu’on ne saurait donc laisser au hasard de majorités de rencontre, semble relever du simple bon sens. L’histoire, tout comme les expériences contemporaines, confirment que le monarque a intérêt à maintenir cet essentiel, et qu’il a la capacité d’y œuvrer, n’étant borné ni par la durée de son mandat, ni par ses promesses aux électeurs. C’est ainsi notamment qu’il peut envisager des réformes en profondeur – lesquelles, par définition, ne sauraient être que progressives et s’étaler sur de longues années, à l’inverse de la régionalisation-minute décidée sur un coin de table par le président Hollande et une poignée de conseillers.

Il va de soi qu’un tel monarque ne serait pas omnipotent. S’occupant de l’essentiel, il laisserait le soin de la politique quotidienne à un premier ministre et à un gouvernement représentant, avec le parlement qui les a investis, la part démocratique du système. Le monarque incarne la durée, la continuité, l’union des différentes composantes de la nation et l’identité de celle-ci. À ce titre, il répond à ce besoin de repères que l’on ressent avec une particulière netteté en ces temps de mutation et d’incertitude. Car le monarque n’est pas seulement le chef de l’État, il est aussi celui de la Maison France, de la grande famille que constitue la nation, de même qu’il est le chef de sa famille à lui. C’est à travers sa personne, et sa famille, que, par en haut, l’État et la société se trouvent reliés – un lien qui se reproduit en bas, à travers les élections, mais sans bénéficier de cette pérennité. Sans bénéficier non plus de la personnalisation propre à l’État monarchique et qui, au fond, change tout : car l’État n’est pas symbolisé par une abstraction mais incarné par une personne de chair et d’os, que l’on sait par cœur, qu’on a vu grandir et dont on connaît les parents et les grands-parents. La forme royale offre ainsi une familiarité qui permet tout à la fois de rassurer et d’impliquer les citoyens – à rebours de l’indifférence que suscitent d’ordinaire les symboles froids et abstraits.

Dans ce cadre, la démocratie acquiert elle aussi une signification particulière et peut se voir attribuer une densité accrue. Dès lors qu’il existe un référent stable et intangible, on peut en effet prendre le risque de la démocratie, et notamment, des changements fréquents qu’elle entraîne. Mieux, on peut, en revitalisant des procédures aujourd’hui neutralisées par la classe politique – référendum, pétition, initiative législative, mandat impératif… – réamorcer l’intérêt de la société pour son état, pour elle-même et pour son propre devenir. On peut faire en sorte que revive en elle le désir d’être souveraine et libre. En combinant monarchie et démocratie, on peut recoudre, et tenter de retrouver le politique perdu.

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