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Validation du passe sanitaire : des circonstances (trop) exceptionnelles ?

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Validation du passe sanitaire : des circonstances (trop) exceptionnelles ?

Le 26 juillet dernier, dans le cadre d’un référé, le Conseil d’État refusa de suspendre le décret 2021-955 du 19 juillet 2021 du Premier ministre qui rendait obligatoire le passe sanitaire dans certains établissements accueillant au moins 50 personnes. Le raisonnement de la plus haute juridiction de l’ordre administratif s’appuie sur un considérant (le septième) qui combine deux jurisprudences classiques relatives aux compétences de l’administration. Ce recours à un raisonnement étoffé permet de justifier une extension du passe sanitaire à des situations que la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire n’envisageait pas, puisque ce justificatif n’était exigé que dans les cas où des établissements et des rassemblements devaient accueillir un grand nombre de personnes. En effet, le décret du 19 juillet 2021 constituait le premier texte à rendre obligatoire le passe sanitaire à des situations où le public est d’une taille bien plus modeste (à partir de 50 personnes), ce qui constituait un démenti cinglant aux annonces initiales qui ne l’envisageaient que dans des contextes de foule… Cette exigence avait suscité des inquiétudes de la part de certaines associations, notamment sportives, qui craignaient de faire fuir des personnes ne souhaitant absolument pas présenter ce sésame des temps modernes…
Le premier de ces raisonnements est relatif au pouvoir de police générale du Premier ministre. Dans le sillage de l’arrêt Labonne de 1919 (CE, 8 août 1919, Rec. 737), ce dernier se voit reconnaître un pouvoir de police générale sur tout le territoire (dans cet arrêt, le titulaire était initialement le président de la République au regard des lois constitutionnelles de 1875, même si, dans les faits, c’est le président du conseil qui exerçait ses compétences). Au niveau national, l’autorité qui gère l’ordre public est donc le Premier ministre. Le second de ces raisonnements est la théorie des « circonstances exceptionnelles » (CE, 28 juin 1918, Heyriès, Rec. 651 ; CE, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, Rec. 208) : en vertu de cette théorie, l’administration peut, dans certaines conditions (guerre, éruption d’un volcan, etc.), s’affranchir de certaines conditions relatives à la légalité de ces actes (conditions de fond ou de forme). Autrement dit, le respect de la légalité peut être relativisé dans certaines circonstances (exemple : en temps d’invasion militaire, la situation d’un maire de commune qui institue des taxes, alors que seule la loi peut le faire). Dans le cadre de ces « circonstances exceptionnelles », le Conseil d’État inclut une « épidémie avérée » ; en l’espèce, le Conseil d’État s’appuie sur différentes données pour constater « une dégradation de la situation sanitaire », mais qui « pourraient se révéler encore plus préoccupantes » au regard de la progression du variant, le tout sur fond de population encore vaccinée à moitié (dans le huitième considérant)… Ou comment le contexte dramatique (?) actuel a permis, sans peine, de caractériser cette « épidémie avérée ».

Critique de la déraison pure…

En combinant ces jurisprudences, on en arrive donc à renforcer les pouvoirs de police générale du Premier ministre, mais en justifiant des restrictions étendues, nullement envisagées par l’arrêt Labonne qui avait seulement validé la création du permis de conduire… En effet, au nom de ces « circonstances exceptionnelles », il devient alors possible de justifier des restrictions générales et étendues dans des situations de la vie quotidienne. Une restriction caractérise normalement l’exercice du pouvoir de police : en soi, au nom de l’ordre public, on peut limiter ou réguler certaines activités qui, par exemple, échappent à tout cadre normatif. Or, dans le cas présent, il ne s’agit plus d’adopter des règles dans un domaine où pouvait encore régner un flou juridique (dans l’arrêt Labonne de 1919, avant l’adoption du décret du mars 1899 portant réglementation sur la circulation des automobiles, il n’y avait aucune contrainte pour conduire une voiture) mais de restreindre des libertés élémentaires, comme la liberté d’aller et venir exercée dans un cadre on ne peut plus général : celui de nos déplacements quotidiens, comme le fait d’aller dans un cinéma ou de se rendre dans une salle de sport (rappelons que l’obligation du permis de conduire répondait au développement de l’usage d’un engin motorisé sur la voie publique).
Cette fois-ci, le pouvoir de police générale ne permet plus seulement d’encadrer : il en vient à interdire drastiquement des actions de la vie quotidienne dès lors qu’une condition n’est pas remplie (la présentation du fameux passe). Les différents usagers qui se sont vu imposer un passe sanitaire à l’entrée de certains établissements de loisir avant l’entrée en vigueur de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire pour laquelle le Conseil constitutionnel n’avait pas rendu ce 5 août une décision en auront ainsi fait les frais… Or, au regard des circonstances actuelles, mais aussi en tenant compte de la proportionnalité qui doit s’imposer aux mesures de police conformément à la jurisprudence Benjamin (CE, 19 mai 1933, Rec. 541), n’aurait-il pas fallu se limiter au simple respect des gestes barrières et à l’exigence du port du masque, comme on le fit précédemment, au lieu de demander un passe sanitaire ? Un peu comme dans les transports… En outre, à la différence de décisions où les « circonstances exceptionnelles » étaient retenues parce que le législateur n’était pas en mesure d’adopter une loi en raison, par exemple, d’une guerre (CE, 16 avril 1948, Laugier, Rec. 161), on pouvait simplement attendre, étant donné qu’il n’y avait pas de difficulté à ce qu’il statuât, ce qu’il fit d’ailleurs estivalement le 25 juillet dernier. Le législateur n’était donc pas empêché. En tout cas, pas par les vacances…
La question est donc simple – et elle n’est pas que juridique : au nom d’une situation particulière due à l’énième rebondissement d’une pandémie, faut-il soumettre à autorisation une partie de notre quotidien ? Il ne s’agit plus de donner un cadre à une activité particulière et bien spécifiée (conduire une voiture, donc un engin motorisé, sur la voie publique), comme c’était le cas avec le permis de conduire. On mesure à quel point, dans une crise donnée, le cumul de deux jurisprudences peut être explosif. Telle une charge virale…
Illustration : Jean Castex, un homme à la hauteur des circonstances exceptionnelles.

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