Il existe une vérité simple, presque trop simple pour notre époque bruyante : on a parfaitement le droit de ne pas s’intéresser aux imbéciles. Ce droit n’est écrit dans aucun code, mais il traverse toute civilisation qui se respecte ; il est l’une des clefs de la liberté intérieure.
Car l’imbécile moderne — qui n’est souvent que le bavard d’hier doté d’un mégaphone numérique — exige de l’attention comme un enfant capricieux exige une cuiller de miel supplémentaire : il interpelle, il somme, il juge, il menace d’indignation. Mais rien n’oblige que l’on l’écoute. Rien n’impose que l’on réponde.
Le droit souverain de choisir ses objets d’admiration
On a le droit d’aimer Napoléon. On a le droit d’aimer de Gaulle. On a le droit de lire ce que l’on veut, d’admirer qui l’on veut, de nourrir son esprit où bon lui semble. Et nul n’a vocation à nous dicter les frontières de notre curiosité, encore moins à nous punir si elle échappe au troupeau.
Qu’un individu, par réflexe pavlovien, voie en Napoléon un « dictateur », en De Gaulle un « autoritaire », en un lecteur de Stendhal un « élitiste », voilà qui ne crée aucune obligation d’entrer dans son champ magnétique. Nous ne sommes tenus ni de nous justifier ni de corriger l’étroitesse de son jugement. Les préjugés d’autrui n’engendrent jamais un devoir ; ils n’engendrent qu’un bruit.
L’indifférence comme hygiène de l’esprit
L’époque veut que l’on réponde à tout : un commentaire, un soupçon, une injonction. C’est oublier que la vie de l’esprit n’est pas un marché, mais un sanctuaire. Elle commence là où cesse la meute.
L’indifférence aux imbéciles n’est pas un mépris mondain : c’est une discipline, une protection, une hygiène. On n’entre pas dans une maison pourvue d’un beau parquet les semelles pleines de boue ; de même, on ne laisse pas entrer dans son esprit les fureurs, les phobies, les certitudes niaises de ceux qui vivent d’échos.
La liberté de ne pas écouter
On n’est pas obligé de consulter les réseaux. On n’est pas obligé de les lire. Ce n’est pas parce que la bêtise est devenue instantanée qu’elle devient respectable. Ce n’est pas parce qu’elle se propage qu’elle mérite réponse.
Le geste le plus noble que l’on puisse opposer à la sottise n’est ni la colère ni la correction, mais la non-attention. Laisser passer le vent. Regarder ailleurs. Continuer son propre chemin d’esprit, qui n’a jamais à se courber devant un bêlement.
La dignité du silence choisi
Le silence n’est pas un aveu. C’est un choix. Laisser l’imbécile parler revient simplement à lui laisser l’usage exclusif de son propre vide. Il ne faut pas confondre la nécessité de penser avec l’obligation de commenter.
Au fond, l’homme libre possède un privilège : il choisit ses interlocuteurs. Il sait que l’échange d’idées n’a de valeur que lorsque chacun porte en lui un minimum de lumière. Le reste n’est que vacarme.
Conclusion
Se désintéresser des imbéciles n’est pas une fuite ; c’est une conquête. C’est préserver la hauteur de vue, la paix intérieure et la noblesse du jugement. C’est affirmer que la vie de l’esprit demeure un territoire souverain, que l’on ne partage pas avec la meute. Et surtout : ne pas s’intéresser à qui aboie n’est pas une question de style, c’est de l’hygiène.