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Mammouth, chronique d’une mort annoncée

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Mammouth, chronique d’une mort annoncée

Ayant commis, il y a plus de 10 ans, un petit ouvrage qui donnait de – mauvaises – nouvelles de l’animal, je ne peux tout à fait m’étonner de ce qui est en train de lui arriver, avec un ministre qui veut faire de l’école ce qu’elle n’est pas et lui assigner une mission qui n’est pas la sienne.

A savoir : résoudre le problème de l’hétérogénéité sociale et de l’absence d’éducation par les parents. S’ensuit également les problèmes posés par le rôle délétère de la télévision et des réseaux sociaux, par l’abrutissement consumériste et l’érotisation de la communication, par l’influence des corpus soixante-huitard sur la désagrégation mentale et intellectuelle des petits français qui ne le méritaient vraiment pas.

Ainsi, les professeurs sont tenus de materner les élèves. Jusque-là tout va bien, les femmes y sont ultra majoritaires. Mais de là à en faire des assistantes sociales, des infirmières, des pompiers ou des policiers, il n’y a qu’un pas qui ne doit pas être franchi. La désintellectualisation du métier est en proportion exacte du dévoiement des missions. Comment, dans ces conditions, défendre le savoir, la connaissance, la critique ?

Ces propos ont déjà été formulé par l’auteur de ces lignes. Mais l’animal avait encore du gras grâce à la résistance d’une forme subreptice de sélection, tandis que « le crime contre les humanités », bien qu’à l’œuvre, n’était pas encore totalement perpétré.

C’est chose faite maintenant et l’animal décharné n’a plus qu’à s’acheminer vers les tourbières de la Sibérie pour s’y enfoncer et faire les délices des futurs explorateurs.

Egalité, que de crimes commis en ton nom !

On sait que le nombre des élèves en difficulté n’a cessé d’augmenter. Pourtant, l’on persévère dans l’assistance sociale qui engendre de plus en plus d’assistés, dénommés décrocheurs. Une fois pour toute, on ne veut pas orienter ces décrocheurs et les faire sortir du système scolaire dès 14 ans, alors même que l’apprentissage et, plus tard, l’alternance, sont des clefs pour éviter la case Pôle emploi. On les materne dans le système. Plus de redoublement, plus d’exclusion : les décrocheurs tirent l’école vers le bas. Et le décret du 20 mai ne pourra pas y remédier.

Depuis le funeste reforme Haby (1975), les mêmes causes produisent les même effets. Le collège unique demeure le collège inique, le tout baigné dans la langue de bois pédago-maniaque, dont la pluridisciplinarité fait partie. Présentée comme une nouveauté, cette dernière est la tarte à la crème des pédagomanes. Il nous a été dit que l’école devait être ouverte sur le monde, une des plus grandes fadaises de ces trente dernières années.

Son ouverture sur le monde fut surtout l’ouverture sur la rue, lieu de tous les affrontements. Et puisque l’on a mis Jean Zay au panthéon, qu’on se souvienne qu’il prononça au moins une phrase qui vaut mieux que son discours sur le drapeau français – lequel flotte d’ailleurs sur tous les lycées de France : « Nous voulons que les lycées restent ces asiles inviolables et sacrés où la querelle des hommes ne pénètre pas ». Ses épigones l’on pourtant fait pénétrer jusqu’ à présenter comme modèle le pitoyable Jamel Debbouze et désanctuariser l’école. Par une singulière ruse de l’histoire, tout le dispositif (méthode globale, suppression des notes, absence de redoublement programmes allégés et idéologiques etc.) visant à assurer l’égalité a produit plus d’inégalité et donc moins de justice depuis les années 70.

Et les enfants, ou plutôt leurs parents, de milieux favorisés vont vers le privé… Mais ils votent avec leurs pieds ! La suppression des options de la reforme Vallaud-Belkacem est le marqueur idéologique de la pensée cachée du pouvoir : elle barre la route à ceux qui chercheraient, par l’excellence, à être un peu moins égaux (en apprenant, par exemple, l’allemand, le latin ou le grec). Pourquoi, on se le demande, refuserait-on à un enfant de l’immigration la possibilité de faire du latin ?

C’est que, depuis trente ans, plus le spectre sociologique et culturel s’élargit, surtout du fait de l’immigration, plus il convient de traiter tout le monde de la même façon : on abaisse ainsi le niveau général puisque, de l’aveu même du président de la République, depuis le début du XXIe siècle « la proportion d’élèves qui ne maîtrisent pas la lecture est passée de 15 à 20 % ».

Le privé au risque du suivisme

La grande alternative vers le privé sous contrat est en réalité illusoire, sauf lorsque le chef d’établissement décide de s’octroyer quelques libertés – qui sont d’ailleurs dans la loi – et de ne pas s’aligner, par zèle idéologique, sur le modèle dominant. Cependant, à lire les courriers du secrétaire général de l’Enseignement catholique, on ne peut manquer d’être surpris. Dans un langage auquel nous ont habitué les pédagomanes des deux côtes, on découvre de surprenantes approbations. Le légalisme étroit, la peur du politiquement incorrect, l’amphigouri pédagogique se portent décidément très bien. On y lit : « Le socle commun, prévu pour l’école et le collège, interroge la notion d’autonomie des disciplines et l’articulation entre les connaissances et les compétences » sic.

Voilà 35 ans que je lis ces mêmes expressions qui sont le signe de l’impuissance intellectuelle : penser c’est juger ; alors bonne ou pas bonne cette réforme ? Continuons d’essayer de comprendre. Face à l’échec scolaire grandissant, il faudrait « développer les pédagogies coopératives et (à) renforcer le sens des apprentissages par le croisement des savoirs » ! Soyons justes, néanmoins, sur deux points où le secrétaire général formule des critiques. Le premier concerne l’opposition à la théorie du genre nettement affirmée. Le second, mais d’une façon alambiquée, sur notre identité chrétienne : « je m’interroge également sur le choix d’écriture qui, à tort ou a raison, pourraient laisser penser qu’est, peu ou prou, occultée la part du christianisme dans la construction de la culture et de la société nationale occidentale ». Fermez le ban et excusez- moi de vous demander pardon de n’être pas tout à fait d’accord !

Finalement, le secrétaire général invite « l’Enseignement catholique à accueillir favorablement le nouveau socle commun de la réforme des collèges… et à dépasser les luttes partisanes ». On ne sait si les « tontons flingueurs » comme se plait à le nommer la presse, sont des francs-tireurs ou des partisans, mais ils représentent néanmoins une certaine autorité intellectuelle et politique. Luc Ferry, Michel Onfray, Jean-Pierre Chevènement et même François Bayrou qui, pourtant, ne fit rien durant son ministère, ont compris que la reforme ne durera guère et que, dans deux ans, un nouveau gouvernement (de droite ?) reviendra devant les Français pour leur proposer la 75ème reforme.

En attendant, se lève une autre alternative : celle du privé hors contrat, en passe de devenir une option forte pour l’école et le collège. Mais à quel prix ! Car l’école de la République pèse d’un poids important dans la dépense publique : 65,02 mds € et 23,05 mds € pour l’Enseignement supérieur et la recherche dans la loi de finance 2015. Des sommes hors de proportion avec la qualité de ses services. La véritable reforme pourrait d’ailleurs en abaisser le coût. Des économies faites sur le premier poste pourraient venir augmenter fructueusement le second, y compris pour l‘emploi, tandis que les lois sur la défiscalisation ont déjà grignoté le monopole éducatif.

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