La vie était simple et rustique à Stag House, et Gratien s’y plut immédiatement. Le captain Grey lui confia de seconder le valet Donald dans le soin des chevaux et de l’écurie, ainsi que la responsabilité des approvisionnements au-delà du lac. Plus tard, il fut chargé d’accompagner les hôtes qui souhaitaient explorer les collines, à pied ou à cheval.
C’était des animaux robustes, de petite taille, presque des poneys, aux longues crinières ébouriffées, qui avaient la particularité de refuser obstinément de prendre le galop, se limitant au mieux à un raisonnable trottinement ; les sentiers qui sillonnaient les marécages (« bogs ») étaient en effet très étroits, et leur tracé, sinueux et parfois incertain. Si un cavalier s’aventurait par erreur dans une mauvaise direction, le cheval s’arrêtait net en baissant la tête, ce qui surprenait le randonneur inexpérimenté ; s’il mettait pied à terre et s’écartait imprudemment, il pouvait se retrouver enfoncé jusqu’à la taille dans la vase gluante camouflée sous une végétation que sa monture avait identifiée !
En s’éloignant du lac, le sol devenait un peu plus ferme et accidenté, avec des prairies naturelles parsemées d’arbustes, hantées par des grouses et des hardes de cerfs. Gratien aimait errer en solitaire dans ces parages isolés, cherchant à surprendre ces animaux magnifiques : ils évoluaient par quinze ou vingt, des biches et leurs petits, et quelques jeunes mâles ; lorsque la harde s’arrêtait pour paître, une vieille biche se tenait toujours un peu à l’écart, la tête levée, en sentinelle ; à l’approche d’un intrus, chasseur ou promeneur, elle poussait un brame rauque qui déclenchait la fuite de tous. Un soir, dans le crépuscule, Gratien se trouvait sur un sentier au milieu d’une zone marécageuse ; ayant marché face au vent, il surprit un groupe d’animaux et se trouva entre un faon et sa mère : immobile, il entendit les appels rauques de la biche devant lui, et les cris angoissés, quasi enfantins du petit, derrière lui, qui avait senti la présence de Gratien sur le sentier et n’osait rejoindre sa mère, qui insistait ! Au bout d’un moment, Gratien, toujours immobile, entendit un galop précipité et vit l’ombre fugitive du faon lui passer au ras : aussitôt après, le grondement des sabots de la harde enfla et s’évanouit dans l’obscurité épaissie…
Un autre jour, il découvrit avec émerveillement les jeux écossais de Tomdoun, petite ville à quelque distance : il admira la force et l’adresse des champions qui s’affrontaient au tir à la corde, au lancer de poutre, de pierre ou de marteau ; il aima les kilts chatoyants qui virevoltaient au son des bagpipes tour à tour mélancoliques ou endiablés ; sur une estrade, des claymores étaient disposées en croix, pointe au centre, la garde ouvragée brillant au soleil ; un homme, bag sous le bras et pipe aux lèvres, s’approcha et après un appel prolongé sur deux tons, se mit à jouer en marchant de long en large un air très rythmé ; aussitôt, un danseur bondit sur l’estrade et se mit à danser entre les bras de la croix de claymores, sans jamais toucher les lames. Tout cela rayonnait de la force et de la gaieté communicative propres aux peuples enracinés.
Il arrivait que des anciens, en découvrant que Gratien était français, évoquent pour lui avec le sourire de l’amitié, La vieille Alliance avec les rois de France qui prenait à revers l’ennemi anglais… Tel fut l’exil de Gratien, au milieu des collines immenses qui dominaient le loch argenté, terre rude, mélancolique et rêveuse, dont le souvenir vivant l’accompagna longtemps…
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