Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

Le train de Noël

Noël était proche, et le jeune Gratien était en vacances; il acheta un billet de train pour rejoindre ses parents qui vivaient à la campagne. C’était une très vieille et toute petite ligne, qu’il était tous les ans question de supprimer; heureusement, les autorités compétentes ne se décidaient pas et reportaient toujours la décision à l’année suivante.

Facebook Twitter Email Imprimer

Le train de Noël

La gare était déserte ce soir-là, et un vent bien froid secouait les guirlandes lumineuses en forme de poissons et de fleurs qui ornaient la petite gare; Gratien entendit avec plaisir le crachotis de la locomotive en approche; le train s’arrêta en poussant un grand soupir de vapeur. Les wagons étaient divisés en compartiments à l’ancienne mode : six places, grands filets à bagages, petits filets à chapeaux et photos en noir et blanc au-dessus des appuie-têtes.

Gratien grimpa dans le premier wagon venu, qui était presque vide; le premier compartiment n’était occupé que par un voyageur; Gratien entra, salua, et s’étonna en découvrant un curieux personnage : c’était un vieil homme vêtu d’un costume décoré de brandebourgs et d’épaulettes dorés, mais usé et même rapiécé aux coudes; « Entrez, et installez-vous, jeune homme, soyez le bienvenu! ». Il avait déployé sur un siège un beau drapeau bleu, blanc et vert orné d’une couronne surmontant un blason. « C’est le drapeau du royaume d’Araucanie et de Patagonie, et j’en suis prince, ajouta-t-il avec simplicité. Quand je le regarde, je revois des villes, des châteaux, je revis certaines chevauchées dans le soleil levant, des jours de victoire avec des braves qui menaient l’assaut en riant… » Et Gratien écoutait.

Une aube de joie semblait toucher le train tout entier

À l’arrêt suivant, un nouveau voyageur fit glisser la porte; l’air triste, assez jeune, très beau, sous son chapeau à larges bords et ses cheveux blonds en cascades bouclées. « Je suis poëte, dit-il, et j’ai perdu l’inspiration; on m’a conseillé ce train, mais je ne sais pas à quelle gare je dois descendre ». Il s’assit, regarda le drapeau patagon, et dit : « Je suis un vieux prince en exil, presque seul dans un train qui ne va nulle part, et je m’enrêve comme d’autres s’ennuient… » Puis, il sourit au prince et s’endormit.

Le train reprit sa course dans la nuit pleine d’étoiles, parmi les collines de neige bleuie par un croissant de lune, et rayées de forêts poudrées. Puis, encore un arrêt; cette fois, trois personnes firent leur apparition, un homme, une femme et un enfant de six ou sept ans. En le regardant, Gratien frémit, le prince s’inclina cérémonieusement; quant au poète, il s’éveilla en disant : « J’ai rêvé de rois, d’or, d’encens, et de myrrhe… »

L’enfant souriait, et il étonnait tout le monde, par sa beauté douce et son humble maintien, entre ses parents. À proprement parler, il rayonnait, les ternes photos se rafraîchissaient, les écaillures du plafond s’estompaient et le galop ferré du train s’adoucissait; il était d’une présence que Gratien qualifia en secret de « profonde et intérieure ». Une aube de joie naissait et semblait toucher le train tout entier qui envoyait de temps en temps de fringants coups de sifflet dans la campagne…

Soudain le train ralentit, s’arrêta en soupirant, et le haut parleur du compartiment fit entendre : « Gratien, voici ton arrêt, tes parents t’attendent sur le quai »… Gratien descendit de son wagon, un peu étourdi, et embrassa ses parents; sa mère lui dit : « Nous t’avons attendu pour la crèche » Et Gratien répondit : « Chère Maman, merci! Je crois que ce voyage m’y a bien préparé… »

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés

Civilisation

La déspiritualisation du Verbe ou la littérature comme astre mort

La déspiritualisation du Verbe ou la littérature comme astre mort

Par Louis Soubiale

Excepté le petit monde consanguin de la germanopratinité littéraire parisienne, nul ou presque ne peut ignorer le blog Stalker (sous-titré éloquemment « Dissection du cadavre de la littérature ») fondé et animé par Juan Asensio, critique atrabilaire bernanosien (il tient Monsieur Ouine, qu’il a lu maintes fois, pour son livre de chevet) faisant pleuvoir ses méphistophéliques philippiques bloyennes sur les écrivassiers contemporains ayant la fatuité de concevoir leur incontinente production excrémentielle annuelle comme de la littérature.