Signe des temps et de leur gravité, les groupes anonymes qui s’épanchaient naguère dans les médias ont disparu du paysage militaire. Nous avions déjà écrit combien ces diatribes de « hauts responsables » (« Surcouf », « Janus » ou « Sentinelles de l’Agora ») étaient contraires à l’éthique : un officier français n’écrit pas de lettres anonymes.
Fin 2013, un hebdomadaire parisien annonçait que les Sentinelles de l’Agora, présentées comme un « groupe d’officiers généraux et supérieurs » dont « les plus éminents commandeurs de nos armées de ces vingt dernières années » allaient « rendre public la quarantaine de noms qui l’animent ». On attend toujours ! Certains pensent que leur texte sera valorisé par le prestige de leur grade ou des fonctions qu’ils ont exercées. Qu’ils y ajoutent donc leur nom, ou alors qu’ils se taisent comme ils ne l’ont que trop fait quand ils étaient aux affaires.
Ces interventions souvent corporatistes et mal documentées sur les effectifs, le nombre d’avions, de porte-avions ou de généraux, sont stériles. Elles portent plus sur la défense d’un modèle d’armée que sur la défense de la France.
La question première est de savoir le prix que le gouvernement accepte de consentir pour son indépendance, s’il y croit encore. Elle est d’abord politique et budgétaire. Elle est surtout très préoccupante ! L’autre question, c’est la responsabilité du haut commandement dans les décisions d’engagement et dans les arbitrages de programmation où il peut avoir une influence décisive.
L’engagement de 7 000 hommes en métropole, pour la protection statique de près de 700 sites à la suite des attentats islamiques de janvier, est prolongé sine die. L’état-major proposait un dispositif plus mobile, plus efficace et plus léger que la communauté juive de base, qui a très chaleureusement accueilli nos soldats, aurait parfaitement admis. Las. Ses plus hauts représentants voient les choses autrement. Hollande a plié et le chef d’état-major a présenté l’addition : un surcroît de 18 000 hommes qu’il faudra payer.
Sur la programmation, l’escroquerie des « sociétés de projets », qui rachèteraient nos Airbus militaires et nos frégates pour ensuite nous les louer, se précise. Cette machination du ministère de la Défense, soutenue par le président de la République, revient tout simplement à réduire le déficit global de l’état en pillant le budget d’équipement des armées. Lequel budget sera laissé exsangue aux suivants, en 2017.
Nous avons déjà évoqué le scepticisme du délégué général pour l’armement ; Bercy dénonce maintenant à son tour la supercherie qui « représente un surcoût financier certain » et « fait courir un risque réputationnel majeur à la France »…
Pour nos généraux, s’opposer à ce projet, c’est présenter sa démission sans autre effet que la satisfaction de ceux qui attendaient la place. En revanche, ils peuvent objecter et argumenter, au risque de déplaire, sans se sentir tenus à cette fausse loyauté qui n’est que « lâche complaisance ». Certains tiennent ainsi leur rôle dans les états-majors centraux où l’existence est rude. Car c’est bien dans la première section que la bataille est utile. Certes, elle est moins risquée à livrer dans la deuxième. Mais pour quel résultat ?
Souhaitons à nos militaires le courage politique et la trempe d’un Vauban face à son ministre.
« …Je préfère la vérité, quoi que mal polie, à une lâche complaisance qui ne serait bonne qu’à vous tromper si vous en étiez capable et à me déshonorer. Je suis sur les lieux ; je vois les choses avec appréciation et c’est mon métier que de les connaître ; je sais mon devoir aux règles duquel je m’attache inviolablement, […] Trouvez donc bon, s’il vous plaît, qu’avec le respect que je vous dois, je vous dise librement mes sentiments dans cette matière ». (Vauban à Louvois, le 23 novembre 1668).