Jonas vient d’un mot hébreu qui désigne le pigeon ou la colombe ; c’est aussi le nom d’un prophète auquel la Bible consacre un petit « livre » dont tout le monde a entendu parler… Souvenons-nous : Jonas reçoit l’ordre de se rendre à Ninive, l’énorme capitale assyrienne que l’on ne pouvait traverser en moins de trois jours ; il doit « proférer un oracle contre elle », car, dit Dieu, « la méchanceté de ses habitants est montée jusqu’à moi ».
Au lieu d’obéir, Jonas prend la direction opposée, c’est-à dire l’ouest au lieu de l’est, gagne la côte et le port de Jaffa, affrète un bateau pour fuir à Tarsis, c’est-à-dire en mer très très loin ; car en bon israélite du VIIIe siècle avant notre ère, Jonas croit que la juridiction et le pouvoir de Yahvé se limitent aux territoires occupés par le peuple élu ! Vous connaissez la suite, la tempête épouvantable, les soupçons de l’équipage à l’égard de Jonas endormi profondément au fond du bateau, l’enquête du capitaine, les aveux de Jonas ; à la suite de quoi, les marins, qui avaient déjà en vain largué toute la cargaison pour alléger le bateau « hissent Jonas et le lancent à la mer ». Lancer de prophète couronné de succès, la mer se calme. Selon un ancien midrash, les marins s’étaient aperçus que la tempête si effrayante était circonscrite aux parages immédiats du vaisseau, et qu’au loin d’autres navires allaient leur chemin par mer calme ! Scrupuleux, ils avaient même tenté de « tremper le prophète » en le retenant par des cordes passées sous ses bras ; las, la mer se calmait bien dès que Jonas disparaissait sous les vagues, mais redoublait de fureur dès qu’ils le hissaient hors de l’eau ! On finit donc par jeter le prophète, d’ailleurs contrit et consentant, dans l’onde amère, ce qui mit définitivement fin à la tempête !
C’est alors que sur ordre divin entre en scène le « grand poisson » (et non pas la baleine) qui engloutit notre prophète et « l’abrite » pendant trois jours et trois nuits. On peut imaginer que ce monstre ressemble au requin-baleine, le plus gros poisson du monde, pacifique mangeur de plancton, qui peut mesurer 20 mètres de long et vivre plus de 100 ans ; c’est un magnifique animal au ventre blanc et à la livrée dorsale gris foncé constellée d’étoiles blanches.
Des entrailles du poisson, Jonas adresse une magnifique prière à Yahvé, digne des plus beaux psaumes :
… Tu m’as jeté dans le gouffre au cœur des océans où le courant m’encercle ;
toutes tes vagues et tes lames déferlent sur moi […]
Les eaux m’enserrent jusqu’à m’étouffer.
Les joncs sont entrelacés autour de ma tête.
Je suis descendu jusqu’à la matrice des montagnes
À jamais les verrous du pays de la Mort sont tirés sur moi.
Mais de la fosse tu me feras remonter vivant […]
Alors que mon souffle défaille et me trahit, je me souviens et je dis : « Seigneur ! »
Et ma prière parvient jusqu’à Toi, jusqu’à Ton Temple saint…
Jonas fut vomi sur la plage au bout de trois jours de retraite spirituelle, délivra l’oracle divin contre Ninive, qui, roi en tête et jusqu’aux bébés au sein et même aux animaux, se repentit, jeûna, se couvrit de sacs et de cendre. Et, au grand dam de Jonas, Dieu pardonna !
« Jonas le prit mal, très mal, et il se fâcha ». Pourquoi cette fâcherie, demanderez-vous ? D’après saint Jérôme, Jonas, qui avait déjà été vexé d’avoir été envoyé à des païens, Assyriens de surcroît (race abhorrée !), craignait que le succès de sa mission ne préludât à la déchéance d’Israël en tant que peuple élu !
« Je savais bien que tu es un Dieu bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et plein de fidélité… »
Nous, Ninivites du XXIe siècle, n’avons plus qu’à espérer que Jonas le fâché ne se trompait pas sur la miséricorde divine !