Civilisation
L’ENA, un ascenseur pour l’échafaud ?
Gérer l’État est un métier. Créer l’ENA en 1945 était une réponse étatique à un besoin clairement identifié : donner une vision commune du bien commun. La promesse a-t-elle été tenue ?
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On ne sait pas comment les remercier, car finalement on ne les connaît pas, mais ces gens qui nous dirigent sont bien gentils, ils manifestent une bienveillance et une sollicitude à notre endroit tout à fait magnifiques. Ils ont compris, grâce à leur sensibilité exquise, que nous nous ennuyons ; ils nous ont donc offert de nouvelles distractions.
Naguère, quand il s’agissait d’obtenir une carte d’identité ou un passeport ou d’en avoir le renouvellement, il suffisait de passer en mairie, d’y prendre un formulaire, de le remplir (on ne disait pas de le renseigner), de le rapporter à la même mairie avec quelques pièces trop vite acquises et quinze jours après environ, on recevait le document souhaité. C’était trop rapide, d’un parcours monotone : on s’ennuyait.
Aujourd’hui, grâce à l’Informatique, reine de nos pensées et dispensatrice de grâces, il faut d’abord faire une pré-demande sur internet. Il faut créer un compte, avoir un identifiant, inventer un mot de passe avec des chiffres, des lettres majuscules et minuscules, des points d’exclamation et autres signes cabalistiques, ce qui exerce la mémoire. On échoue dix fois, autant de plaisirs. On finit par réussir et hop, on imprime. Muni de ce papier où figurent de nouveaux codages, on choisit une mairie parmi celles qui sont capables de faire ce travail et toujours sur internet, après quelques tribulations marrantes, on reçoit un message agrémenté de charmants codes et d’une date de rendez-vous, distante du jour d’aujourd’hui d’environ trois mois. Vous y allez enfin (c’est quelquefois pas tout près), on vous dit que telle pièce justificative n’est pas réglementaire, que sur votre photo vous faites des grimaces et qu’on ne vous reconnaît pas bien. Grâce à quoi, il y a encore du plaisir à venir.
J’ai menti au début de ce discours : les gens qui nous dirigent, on les connaît, ce sont les Shadoks, dont la devise est : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ». Certains prétendent que l’INSP (anciennement ENA) est une excellente fabrique de Shadoks.