Il y en a qui ne sont pas marrants avec les chiffres. Dès qu’ils ont des chiffres, ils prennent des têtes de constipés, c’est clos, définitif et, lâchons le mot : scientifique. Les chiffres ont parlé : ferme ta gueule. Les chiffres ont tout dit, ils ont toudis tout dit comme on dit chez mi.
Eh bien, non, mon petit père. Ecoute, il y a quelqu’un qui a énoncé : « Je ne crois qu’aux chiffres que j’ai moi-même falsifiés. » On peut falsifier tout d’un coup, donner tout de suite 5000 pour 50 si on n’y va pas avec le dos de la cuiller. Là, le bonheur est bref, c’est à peine poilant. C’est beaucoup mieux de prendre son temps, de détailler : on laisse son doigt planer sur le clavier, on le laisse tomber sur le pas bon chiffre ou quand le bon chiffre serait 7, on fait tourbillonner ledit doigt sur le 7 et puis, sroum : il dévie sur le 8. On a le plaisir du pianiste qui triomphe sur la dernière touche. Si on manuscrit, autre plaisir. On s’arrange pour ne pas très bien faire le chiffre et là, suce-pince, celui qui a besoin de notre document, que va-t-il lire ? Hein ? Hein ? Là, c’est hilarant, c’est infiniment mieux qu’une falsification brutale. Les statistiques offrent une grande variété de plaisirs. On ne falsifie pas, oh non, oh non ! on choisit, on écarte les chiffres qui offensent, on élève au carré ou au cube ceux qui flattent. Quelquefois, ce n’est même pas de la triche : on est tellement convaincu de son idée qu’on néglige sans même y penser les chiffres qui ne conviennent pas, qui ne sont pas bons, on accorde sincèrement de l’importance à ceux qu’on trouve délicieux. Les courbes aussi sont pas mal : on les prolonge comme il faut, on ne pense pas une seconde que tel événement pourra subvenir pour les infléchir. C’est très joli une courbe quand elle est bien faite. Grâce à elle, on peut prédire en se frottant les mains des cataclysmes inouïs ou des bonheurs insensés.